L’éditorial
Courageuse et empreinte de générosité est, tout à la fois, l’actuelle visite en Égypte du pape François. Courageuse d’abord parce que c’est dans un pays en proie, de longue date, au terrorisme jihadiste, qu’a débarqué hier le chef de l’Église catholique. Courageuse encore parce que c’est précisément aux chrétiens d’Égypte que Daech réserve le gros de sa frénésie meurtrière, multipliant les attentats-suicides contre les églises coptes.
Généreuse, cette visite de deux jours l’est, à l’évidence, puisqu’elle vise à soutenir, à réconforter, à rassurer, sur place, la plus nombreuse et la plus ancienne communauté chrétienne d’Orient ; mais aussi, à travers elle, toutes les autres populations de la région fidèles à la foi du Christ et souvent sujettes à des exactions ou des discriminations diverses.
Généreuse, cette visite ne l’est pas cependant pour les seuls chrétiens. Pour authentique, pour profondément sincère qu’il soit, l’appel au dialogue, à l’amour, à la paix entre religions dont est porteur le pape est, en réalité, pain bénit pour l’establishment spirituel et politique égyptien. Aux théologiens d’al-Azhar, gardiens de l’orthodoxie sunnite, il offre une solennelle, une historique opportunité de jeter (une fois de plus) l’anathème sur l’idéologie takfirie ; et au président Sissi celle de s’affirmer aux yeux du chef de la chrétienté et du monde entier comme l’irréductible pourfendeur d’extrémistes : cela en dépit des flagrantes failles policières qui, en dépit des attaques répétées, n’ont cessé d’affecter la protection des lieux de prière.
Reste posée, dès lors, la question de savoir si l’initiative papale sera véritablement payée de retour. Il ne suffit plus en effet de condamner, avec la plus vigoureuse sincérité, les criminelles dérives des extrémistes. C’est à la racine du mal qu’il est grand temps pour les docteurs de la foi de s’attaquer : c’est-à-dire aux imprécisions, ambiguïtés – et même parfois franches contradictions – entourant les rapports entre la religion et la violence, autrement dit la notion même de jihad. Un tel travail de mise à jour, d’exégèse, de modernisation, qui exige, à son tour, autant de courage que de clairvoyance, c’est à eux qu’il appartient de l’accomplir. Ils le doivent à l’islam lui-même, autant qu’au reste du monde.
C’est à la faveur d’une providentielle Nahda qu’au XIXe siècle, prenait corps (avec le concours décisif de chrétiens égyptiens et syro-libanais, faut-il le rappeler ?) une salutaire quête de modernité tout à la fois politique, littéraire, artistique et religieuse. Face aux thèses barbares, inhumaines de Daech, l’islam détient l’arme absolue, tout un arsenal théologique plus formidable que tous les avions et canons de la coalition internationale que l’on voit à l’œuvre dans le désert irakien. Et il a seul le pouvoir d’appuyer sur le bouton rouge.