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Le bras cassé de Rafic Hariri

L’ÉDITO

 | OLJ

24/10/2016

28 ans. 28 ans que ses partisans attendent ce jour qu’ils savent déjà béni des dieux, ce jour où leur idole s’assoira sur son vorsitz, ce fauteuil présidentiel auquel, ils en sont convaincus, il était destiné dès sa naissance. 28 ans qu’ils attendent de pleurer, de joie, comme ils l’ont fait lorsque leur champion a été adoubé à la Maison du Centre par le chef de ce courant du Futur qu’ils haïssent pourtant profondément. 28 ans qu’ils attendent de pleurer, de félicité, en prenant la route de Baabda, qui sur son déambulateur, qui toute armée de ces bijoux qu’elle déposera, une nouvelle fois, béate, à ses pieds.
28 ans. 28 ans que ses adversaires subissent un homme déjà autoproclamé, à l’époque, président et six ministres ; un homme coupable d’une primo erreur stratégique mortelle pour le Liban, et qui, une fois la veste militaire troquée pour la cravate, a récidivé, accordant couverture politique et dimension nationale à une milice qui n’en finit pas de vampiriser le pays. 28 ans qu’ils assistent, chaque fois un peu plus sidérés, à des masterclass de démagogie assénées par un homme qui aurait inventé le populisme si ce concept n’avait pas existé et qui aurait vendu père, mère et rein, pour six ans au palais.
28 ans plus tard, voilà ce monsieur sur le point de littéralement vivre son rêve. Ce nirvana, il le doit, d’abord, à Hassan Nasrallah, qui l’a assuré de son soutien retentissant hier, sans que l’on ne sache vraiment pourquoi. Parce que sa crédibilité s’est retrouvée acculée (mais qu’est-ce qu’une crédibilité quand on est le seul à stocker des armes…) ? Par fidélité à cet insensé document de Mar Mikhaël signé en 2006 sur seule base d’un non à (au sunnisme, notamment politique) et sans aucun véritable oui à ? Parce que le patron du Hezbollah et bras armé de l’Iran au Liban sait, petit sourire narquois bien caché, que tout se fera selon le bon plaisir de l’ayatollah Khamenei, à commencer par la déclaration ministérielle ? Ce nirvana, il le doit, ensuite, à Samir Geagea, sans doute le seul à comprendre l’intérêt, l’utilité et le bien-fondé de ses propres calculs (politiques) cosmogoniques, dessinés sur les murs de Meerab. Ce nirvana, il le doit enfin, et surtout, à… Saad Hariri. L’héritier qui n’en finit plus de dilapider, consciemment ou pas, son legs, handicapé, il est vrai, par les luttes intestines féroces qui rythment le quotidien des Ben Abdel Aziz à Riyad, aura sûrement en tête ce fameux et funeste 3 septembre 2004, quand son père avait voté, le bras bandé (après une visite à Anjar ? Une glissade dans une salle de bains sarde ?), image freudienne hallucinante, la prorogation pour trois ans du mandat d’Émile Lahoud. Nasrallah-Hariri-Geagea : et voilà la troïka (et quelle troïka…) ressuscitée, dans un immense rictus général.
28 ans plus tard… Lundi 31 octobre, en principe (un incident, au Liban, ou un séisme, sécuritaire ou politique, arrive si vite…), le nouveau chef de l'(agonisant) État sera élu par des députés accusés jusqu’à tout récemment, par le principal intéressé, d’avoir étendu anticonstitutionnellement leur mandat. Mais les Libanais ne sont plus à une aberration près… Beaucoup se réjouissent, naturellement. Beaucoup parlent de partir, alors qu’ils sont toujours restés, même dans les pires années de guerre. Beaucoup se résignent (la résignation est la nouvelle résilience des Libanais…) en se disant que n’importe quel président vaut mieux que pas de président. Quelques-uns, enfin, croient au miracle, espérant timidement que le successeur de Michel Sleiman s’avère être plein de (bonnes) surprises.
Le valeureux Édouard Honein, très grand connaisseur des exceptions libanaises, disait, il y a des décennies : « Même si un singe est élu à Baabda, il faut le soutenir. » Nul doute que s’il vivait encore, le sage homme aurait très probablement modifié son discours. Surtout que le probable treizième président de la République libanaise pourrait réussir le sinistre exploit de faire regretter à ses concitoyens les neuf ans honnis d’Émile Lahoud.