IMLebanon

Le cabinet Hariri entamera son action à l’ombre d’un fragile équilibre

Sandra NOUJEIM 

 

Le vote de confiance au gouvernement présidé par Saad Hariri est passé hier comme une lettre à la poste, lors d’une séance matinale d’à peine trente minutes à l’hémicycle.

La rapidité avec laquelle le débat de confiance a été clos favorise l’avis selon lequel l’approche visant à contenir la situation politico-sécuritaire au Liban, en se focalisant sur les questions socio-économiques et en laissant en suspens les points litigieux, conviendrait actuellement à presque tous les protagonistes.
Prenant la parole hier à l’hémicycle avant le vote de confiance, comme il est d’usage, le Premier ministre Saad Hariri a relevé une nouvelle fois que le « scepticisme » de certains quant à l’aboutissement du compromis Aoun s’est avéré infondé. « Quand le Parlement a élu le général Michel Aoun à la présidence, d’aucuns ont été sceptiques, mais cette élection s’est montrée apte à apaiser le pays. Des doutes similaires ont pesé sur la désignation du Premier ministre, puis sur la possibilité de former un cabinet, et, enfin, sur les chances de rédiger la déclaration ministérielle sans embûches », a-t-il dit, soulignant que chacune de ces étapes a donné tort aux sceptiques.
Ce qui lui a fait dire, en somme, qu’ « il existe un climat positif dans le pays, et la volonté de coopération est manifeste parce que les forces politiques ont réalisé que le pays ne peut pas avancer sans entente ». Une entente qui, dit-il, n’a été motivée par aucun paramètre régional. « Il y a eu des mesures purement libanaises, convenues par les Libanais, chacun ayant pris un certain risque, que ce soit nous, le Hezbollah, le Courant patriotique libre ou les Forces libanaises », a-t-il relevé.
La question reste de savoir, toutefois, laquelle de ces parties a pris le plus grand risque, c’est-à-dire laquelle sera la première à subir les revers de la coexistence entre des acteurs hétéroclites au sein du cabinet.
Dans ses réponses aux remarques des députés sur la déclaration ministérielle, M. Hariri a retenu l’avis (de plus en plus timide) selon lequel les questions stratégiques, liées aux armes du Hezbollah et à sa « résistance », ne sauraient être occultées au prix de la souveraineté. « Oui, il existe encore des questions controversées dans notre pays, comme celle des armes », a-t-il reconnu, pour rappeler aussitôt la solution intermédiaire qui leur est donnée dans la déclaration ministérielle : « Le gouvernement a été clair sur la question de la stratégie de défense (qui inclut les armes du Hezbollah, NDLR), sachant qu’elle est l’objet de désaccord. Nous avons donc préconisé que ce sujet soit éventuellement discuté calmement. »
La solution aux points litigieux sera donc celle du dialogue, en marge du chantier de redressement socio-économique mené par le gouvernement.

La loi électorale
Pour ce qui est de la loi électorale (qui doit elle aussi faire l’objet d’un chantier à part), M. Hariri a expliqué pourquoi la déclaration ministérielle n’a pas défini avec plus de précision les contours de la nouvelle loi. « Le gouvernement et le Parlement ont tous deux reflété l’absence d’un accord sur la loi électorale », a-t-il dit. Ce qui ne l’a pas empêché de faire un serment de bonne volonté au nom du gouvernement réuni. « Je vous assure que nous tous au sein du cabinet, à commencer par moi-même, voulons une nouvelle loi électorale », a-t-il affirmé, sans toutefois formuler de promesse dans ce sens. Le seul point d’entente qu’il a dit retenir pour l’heure est le quota des femmes. Il a, du reste, veillé à diviser la responsabilité de la réforme électorale entre le gouvernement et le Parlement. « Vous avez un rôle, et nous aussi », a-t-il déclaré.
En somme, le cabinet Hariri a obtenu la confiance du Parlement en restreignant son action aux questions économiques vitales, en sus de la loi électorale.
Or, il n’est pas sûr que le cadre ainsi fixé à l’action du cabinet conduise à équilibrer les rapports de force, en vertu de l’équation « ni vainqueur ni vaincu ». Plus clairement, ce n’est pas parce qu’il a été convenu de revitaliser les institutions et de préserver le pays des polémiques qui risquent de dégénérer que le Hezbollah ne cherchera pas à exercer, le cas échéant, son hégémonie.
Si le parti chiite se place aux premières lignes de la réforme de l’État, soutenant le chef de l’État dans sa volonté d’éradiquer la corruption, il ne ferait, en réalité, qu’affûter ses armes contre le Premier ministre.
Après l’avoir neutralisé sur les questions stratégiques (en atteste la banalisation hier par Saad Hariri de la formulation de l’alinéa relatif au TSL, « créé en principe pour faire justice », et qui est pourtant une survivance du cabinet Mikati), le Hezbollah a désormais les moyens de le désavouer sur les dossiers socio-économiques. L’on constatera d’ores et déjà que de la même manière dont des milieux du 14 Mars dénoncent le mutisme des députés sur l’hégémonie du Hezbollah, des milieux proches du 8 Mars s’étonnent de la permissivité de leur camp à l’égard du « haririsme et de sa corruption ».
Les allocutions des députés Ali Ammar et Hassan Fadlallah sur « la politique de la main tendue du Hezbollah », qu’ils ont conditionnée au respect de la déclaration ministérielle et à l’engagement à édifier un « véritable État », sont un moyen de dire que la bonne marche du cabinet Hariri sera tributaire de la satisfaction du Hezbollah.
L’un des outils traditionnels utilisés par le parti est de mettre en doute la représentativité du courant du Futur (la double absence de Nagib Mikati et de Fayçal Karamé aux séances de débat, et leur volonté déclarée de ne pas accorder leur confiance au cabinet jouent dans ce sens).
En attendant, M. Hariri continue de présumer des bonnes intentions de ses ministres, jusqu’à preuve du contraire. Surtout que rien n’est tranché au niveau régional. Les remarques qu’il a soulevées hier en réponse aux députés ont valorisé les grandes lignes du projet de réforme qu’il souhaite accomplir : le vote de la loi sur les contrats de partenariat entre les secteurs public et privé, présenté par le gouvernement en 2010 ;
commencer dès à présent à promulguer les décrets relatifs aux forages pétroliers ; et enfin, sous le volet de la lutte contre la corruption, instaurer l’informatisation des services de l’État, le moyen nécessaire et « le plus rapide d’éradiquer une grande partie de la corruption ». Il a en outre exprimé son intention de veiller au respect de l’indépendance des magistrats à l’égard du corps politique. « Les députés et les Libanais doivent comprendre que les accusations sans preuve contre les grands juges sont des actes diffamatoires », a-t-il dit. Il s’est engagé par ailleurs, en réponse à des doléances du Akkar et de Tripoli, à « mettre en œuvre la décision du Conseil des ministres qui interdit aux services de sécurité d’utiliser des données téléphoniques sans autorisation judiciaire préalable ».
Pour une source du courant du Futur, « la satisfaction actuelle du Hezbollah et son silence subséquent ne signifient pas que le pays est désormais sous son emprise ».
Pourtant, une source parlementaire indépendante s’est attardée sur l’absence « éloquente » (pour différentes raisons) de certains députés hier à l’hémicycle, comme celle des députés Bahia Hariri et Fouad Siniora. La Rencontre démocratique n’était pas non plus entièrement représentée (à l’absence des députés Walid Joumblatt et Fouad el-Saad s’est ajoutée hier celle du député Ghazi Aridi). Le député Estephan Doueihy était seul à représenter le bloc des Marada. Le cabinet a recueilli au final 87 votes de confiance sur les 92 présents. Trois députés Kataëb, ainsi que le député Khaled Daher n’ont pas donné leur confiance, tandis que le député Imad Hout s’est abstenu de voter. Des indépendants ouvertement critiques à l’égard du cabinet, comme Boutros Harb et Dory Chamoun, étaient hier aux abonnés absents. En somme, l’équilibre fragile au sein du cabinet Hariri, maintenu par une entente de forme, semble voué à basculer, éventuellement, dans un sens ou dans l’autre…