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Le cas du Djebel

 

Autres temps, mêmes mœurs, d’un Assad à l’autre.
Des décennies durant, le père a réussi à convaincre la communauté internationale qu’en dépit de ses incartades, il était un indispensable facteur de stabilité dans la région du Proche et du Moyen-Orient. Sans moi, ce serait bien pire, était l’arrogant message : formule payante qui, en échange d’un calme total sur la ligne du Golan, lui permettait de faire main basse sur le Liban.
Moins doué mais encore plus sanguinaire, c’est en rempart de laïcité face au tsunami jihadiste que se pose maintenant son fils et successeur. Non sans quelque succès, faut-il reconnaître, et cela, Bachar devrait en savoir gré aux ultras de l’islamisme : ceux-là mêmes qui, à leur tour, doivent à sa propre barbarie leur montée en puissance. Traumatisés par les massacres et autres exactions qu’ont subis leurs coreligionnaires en Irak, les chrétiens de Syrie, dans leur grande majorité, sont ainsi demeurés fidèles au régime : attitude que n’a pu que conforter la réunion, lundi à Damas, de cinq chefs d’Églises d’Orient, qui ont dénoncé le radicalisme religieux.
Ces jours-ci, ce sont les druzes de Syrie (mais aussi, avec eux, leurs frères du Liban, de Palestine et d’Israël) qui se trouvent confrontés, avec plus d’acuité que jamais, à ces choix difficiles. Cette communauté a été la cible d’une tuerie, jeudi dans la province d’Idleb ; et à l’autre bout du pays, les jihadistes sont désormais à un jet de pierre de la ville de Soueida, chef-lieu du Djebel. Le premier de ces développements semble être le résultat d’une rixe survenue entre al-Nosra et les habitants d’un village pourtant gagné, dès la première heure, à la cause des rebelles.
Le Djebel, qui abrite le gros de la population druze, s’est bien gardé, quant à lui, de prendre parti. Il a opposé une fin de non-recevoir aux appels du leader libanais Walid Joumblatt l’invitant à se rallier à la rébellion. Et il a résisté avec tout autant de fermeté aux pressions de Bachar visant à l’embrigader militairement à ses côtés ; comme pour sanctionner un tel semblant de neutralité, l’armée syrienne ne fait preuve d’aucune diligence pour voler au secours de Soueida …
Que les intérêts objectifs de certains groupes jihadistes et du régime aient tendance à se croiser un peu trop souvent n’est certes pas chose nouvelle. Ce qui est nouveau en revanche, c’est le spectacle d’un prétendu protecteur de minorités subissant revers sur revers sur le terrain et jouant désormais le fractionnement des minorités.
Comme on pouvait s’y attendre, ce phénomène est surtout visible au Liban. Réuni hier à Beyrouth, le Conseil politico-religieux druze s’est prudemment cantonné dans les généralités, mais ce n’était là, apparemment, qu’une unité de façade. Depuis quelque temps déjà, Walid Joumblatt plaide pour une nette distinction entre les forcenés de l’État islamique et le Front al-Nosra, jugé tout à fait respectable car formé de citoyens syriens et ralliés à une coalition anti-Bachar groupant également l’Armée syrienne libre. Dès lors, le chef du Parti socialiste progressiste préconise une entente harmonieuse entre le Djebel druze et son environnement socio-géographique, autrement dit le Hauran massivement peuplé de sunnites.
C’est un point de vue opposé que défend le chef du clan yazbaki Talal Arslane, qui ne cache guère ses sympathies pour le régime baassiste. Et c’est avec sa véhémence coutumière que l’ancien ministre Wi’am Wahhab réclame à Damas des armes pour aller vaillamment bouffer du takfiri…
Au Liban, et au gré des manipulations étrangères, ce ne sont plus les seuls chrétiens que divise le sort de Bachar el-Assad. Pluralisme dans le pluralisme, diversité au sein de la diversité, comme le voudraient nos traditions démocratiques ? Perversion dans la perversion plutôt.