La terre, l’eau, l’air et le feu sont les quatre éléments qui, en philosophie naturelle comme en astrologie, sont à l’origine de la vie : étant bien entendu toutefois que certaines de ces forces de la nature, une fois déchaînées, peuvent aussi donner la mort, comme on a pu le constater ces derniers jours avec les ouragans qui ont soufflé dans notre région.
La terre ? Depuis que les hommes existent ils se battent pour elle, qui les a vus naître. Ils ne s’en tiennent pas cependant à ce cordon éminemment ombilical. À preuve, ces Libanais du Hezbollah tués sur le sol syrien, en même temps que leur mentor iranien, un général des pasdaran, par des missiles air-sol israéliens tirés sur leur convoi : singulière communion du sang dont tirait fierté pourtant, hier, Hassan Nasrallah. Criant vengeance, Téhéran s’était empressé de promettre à Israël une riposte en deux éléments, autrement dit une tempête de feu. Les Iraniens ont eu beau tempêter, c’est en fait du Liban-Sud qu’ils ont prudemment préféré envoyer le feu : le Hezbollah se chargeant de lancer mercredi une attaque aux roquettes antichars contre des véhicules militaires israéliens.
Du coup surgissait la hantise d’un remake de la dévastatrice guerre de l’été 2006, alimentée qu’elle était par le bombardement à l’artillerie de localités libanaises frontalières, l’alerte décrétée dans le nord d’Israël et le chassé-croisé de mises en garde, défis et autres menaces. Et puis soudain, le calme plat, comme sous l’effet de quelque baguette magique. La magie se réduisait en réalité à un discret échange de bonnes intentions opéré par l’intermédiaire de la Force intérimaire de l’Onu, les deux protagonistes se défendant de souhaiter une conflagration majeure. Dans la pitoyable chronique météorologique et astrale du Sud, c’est là qu’intervenait, en toute logique, l’élément eau, jetée de concert, à pleins seaux, sur le brûlot de Chebaa.
Naturelle ainsi est la circonspection de l’Iran, soucieux de mener à bon terme, à l’abri de tout bouleversement guerrier, sa négociation avec les États-Unis sur le dossier nucléaire ; venus prendre part à l’hommage rendu hier à la mémoire des martyrs de Kuneitra, les émissaires de Téhéran n’ont pas eu de mots trop éloquents pour dire leur souci de la sécurité et de la stabilité du Liban ; dans ce cas précis, on veut bien croire… À quelques semaines des élections législatives israéliennes, Benjamin Netanyahu, à son tour, peut difficilement s’aventurer dans une conflagration majeure, susceptible de se solder par d’importantes pertes, tant militaires que civiles. Or il en va de même pour le Hezbollah qui se devait certes de riposter au coup dur essuyé au Golan, mais en se gardant de pousser le bouchon trop loin. Déjà empêtrée dans la guerre civile de Syrie, la milice chiite peut difficilement envisager l’ouverture d’un second front encore plus explosif. Et encore moins espérer une réédition de la prétendue victoire divine de 2006, à laquelle n’a jamais cru d’ailleurs la majorité des Libanais.
La règle du jeu a changé, affirmait dans son discours d’hier Hassan Nasrallah, encore que le Hezbollah a bien pris soin de frapper non point en territoire israélien, mais dans un secteur occupé et revendiqué par le Liban. Bien malheureux était néanmoins ce terme de jeu, pour décrire une situation où l’on voit un parti armé et financé de l’étranger embarquer un pays tout entier dans ses périlleuses équipées locales ou régionales sans l’assentiment des autorités légales, sans même un semblant d’embryon de consensus national. Car on ne joue pas avec le sort d’une patrie, avec les vies et les biens d’une population et mieux encore, on ne le fait pas sur commande. On ne joue pas davantage avec la sécurité publique en saluant par d’irresponsables et frénétiques rafales d’armes automatiques chacune des apparitions télévisées de Nasrallah.
Tout comme les quatre autres, c’est là, pour le Liban, un indispensable, incontournable, élément de vie.