Toutes les fois que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, fait une apparition, les interprétations fusent et les scénarios se dessinent autour de ce qu’il a dit ou ce qu’il a voulu dire. C’est ce qui s’est produit hier, notamment au lendemain des propos exprimés par le chef du parti chiite lors d’un entretien télévisé qui a suscité l’inquiétude chez certains, le mécontentement chez d’autres qui y ont vu une invitation à la belligérance et un nouveau défi à la politique de distanciation fraîchement avalisée par le gouvernement.
Hassan Nasrallah, qui a fait allusion à maintes reprises à une éventuelle guerre dans la région qui affecterait inéluctablement le Liban, a haussé le ton mercredi face à Israël. Bien qu’il ait évoqué, en le banalisant, le mouvement de contestation populaire en Iran et révélé des informations inédites sur un « deal » politique proposé au parti par les Américains, l’essentiel de son discours était un message adressé à Israël sur la toute-puissance de la résistance qui peut désormais compter sur une pléthore de combattants étrangers, y compris yéménites.
« Il y a quelque chose qui se prépare dans la région. (…) Mais notre projet n’est pas celui de la guerre. Notre projet est celui de la résistance, qui est différente de la guerre », a-t-il dit en évoquant le risque de guerre. Cette guerre pourrait être lancée « contre le Liban. Ou la Syrie », a-t-il ajouté, assurant qu’il ne fait pas de guerre psychologique en avançant de tels propos.
Selon une source du 8 Mars, l’idée à retenir est tout d’abord que le front qui s’est constitué autour de l’axe iranien est « solide et unifié ». « Les Israéliens doivent savoir que le Hezbollah, soutenu par cet axe, est déterminé à transformer toute menace en opportunité, pour retourner la situation, quelle qu’elle soit, en sa faveur, si Israël décide de déclencher une guerre généralisée ». Mais selon cette source, ce qu’insinue le secrétaire général est que si Israël attaquait le Liban, la réponse viendrait du Liban. Si c’est la Syrie qui est visée, le Hezbollah ne ripostera pas afin que la situation ne dégénère pas en guerre généralisée. Il en va de même si l’attaque est limitée à Gaza, ce qui signifie que c’est aux Palestiniens et non au Hezbollah de riposter, explique-t-on de même source.
En bref, ce que Hassan Nasrallah a voulu dire, c’est que la « résistance » qui bénéficie aussi bien de l’arsenal nécessaire que de combattants étrangers « est prête » quel que soit le scénario ou le type de situation qu’elle sera appelée à affronter. C’est ce que le secrétaire général a voulu dire en utilisant l’expression « transformer la menace en opportunité », indique la source.
Pour Talal Atrissi, professeur universitaire et spécialiste en géopolitique proche du 8 Mars, il s’agit de bien comprendre la différence qu’effectue Hassan Nasrallah lorsqu’il dit « notre projet n’est pas la guerre mais la résistance ». « Il s’agit d’une nuance très importante dans la terminologie du parti. Nasrallah n’a jamais affirmé qu’il compte livrer une guerre. Il dit simplement que la mission du parti est celle de l’autodéfense. C’est un message destiné à rassurer l’intérieur libanais », explique le spécialiste.
M. Atrissi souligne que lorsque le Hezbollah a kidnappé, en juillet 2006, les soldats israéliens, « il ne voulait pas la guerre mais cherchait simplement à solliciter un échange de prisonniers ». « Son raisonnement consiste à hausser le plafond des menaces pour dissuader de la guerre plutôt que d’y inciter tout en rappelant constamment l’équilibre des forces, ou plutôt la supériorité militaire du parti », commente encore l’analyste.
Les menaces de riposte et l’allusion permanente à un arsenal militaire de grande envergure et à des combattants de toutes les nationalités, y compris yéménites, ne constituent-elles pas pour autant une violation flagrante du principe de distanciation et un défi à la souveraineté de l’État libanais ?
Pour les milieux du 8 Mars, et du Hezbollah plus précisément, la distanciation « ne s’applique pas au conflit avec Israël ». Et la source proche du 8 Mars de faire remarquer que l’accord entériné par le gouvernement à ce propos ne porte pas sur les campagnes médiatiques, affirmant que le brouillon rédigé lors des discussions à ce sujet prévoyait au départ que le Liban s’abstienne de prononcer des discours offensifs à l’égard de pays tiers. « Le Hezbollah a refusé ce point et estimé que cela fait partie de la liberté d’expression à laquelle il reste attaché », indique la source.
M. Atrissi va dans le même sens en affirmant que la distanciation « ne signifie certainement pas qu’il est interdit d’exprimer son point de vue sur ce qui passe au plan régional ».
Interrogé enfin sur les révélations faites par Hassan Nasrallah concernant une proposition qui aurait été faite par Donald Trump, avant son élection à la présidence, au Hezbollah, Talal Attrissi affirme que ce package-deal, dont la teneur a été transmise au parti chiite « par des médiateurs japonais », doit être compris sous l’angle du pragmatisme de l’administration américaine, « qui n’a aucun état d’âme, à part celui qui consiste à assurer la sécurité d’Israël ». L’arrangement consistait notamment à soustraire le Hezbollah de la liste des partis et mouvements terroristes et à lui permettre de garder ses armes, en contrepartie de son engagement à ne pas attaquer Israël et à ne plus aider ou entraîner les Palestiniens. Les États-Unis auraient également offert de lui verser deux milliards de dollars.