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Le discours de Nasrallah, un coup de Jarnac au régime de Michel Aoun

Philippe ABI AKL | OLJ

29/06/2017

Il est de plus en plus clair que l’agenda du Hezbollah est modulé en fonction des intérêts iraniens, sans considération aucune pour le Liban.
Le dernier discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, vendredi dernier, a complètement occulté la dimension locale, y compris la loi électorale, pour se faire la caisse de résonance du bellicisme iranien sur le terrain libanais. « Toute guerre qu’Israël mènera contre le Liban et la Syrie ne restera pas limitée à ces deux terrains, mais ouvrira les frontières terrestres et aériennes à des milliers de jihadistes en provenance de l’Irak, du Yémen, d’Iran, d’Afghanistan, du Pakistan et d’autres régions du monde, qui viendraient seconder la Syrie et la résistance », avait déclaré le leader chiite. Sa menace de faire du Liban un terrain de guerre contre Israël, ouvert aux jihadistes qui sont au service de l’axe irano-syrien, a sidéré de nombreux observateurs.
La mise en garde est certes liée au jeu d’influence actuel entre les puissances régionales sur le terrain syrien. L’Iran entend utiliser toutes ses cartes, y compris la stabilité du Liban, pour se sécuriser des zones d’influence en Syrie face à la Russie et les États-Unis.
Mais les observateurs s’attardent aussi sur le message interne que porte la mise en garde de Hassan Nasrallah. Son camouflet à la souveraineté libanaise, doublé de diatribes contre l’Arabie, est aussi la marque d’une hostilité de moins en moins dissimulée à l’égard du régime actuel. Le discours de M. Nasrallah a été prononcé à peine vingt-quatre heures après que le président de la République, Michel Aoun, eut pris l’initiative d’inviter les différentes parties du gouvernement à une rencontre à Baabda dans l’optique de catalyser la relance des institutions. En ignorant sciemment ce développement, et toute la scène interne, le secrétaire général s’est posé en guide suprême de la République qui se moque de tout ce qui fonde le pouvoir actuel, y compris le triptyque armée-peuple-résistance, qu’il s’était pourtant acharné à faire avaliser dans les textes officiels. En ce sens, le discours de Nasrallah constitue en quelque sorte un coup de Jarnac au régime du président Aoun, estiment les analystes politiques.
C’est donc un dédain accentué pour les frontières du pays et ses institutions qui caractérise le dernier discours de Hassan Nasrallah, qui a fait voler en éclats le triptyque de la résistance, en appelant les jihadistes du monde à se joindre à « la résistance » au Liban, en réponse à une éventuelle agression israélienne.
Jusqu’à preuve du contraire, ces positions se concilient mal avec les efforts du président de la République de relancer les institutions. Pire, elles les inhibent à plus d’un égard. Des milieux proches des instances économiques disent craindre des retombées directes du discours sur l’économie libanaise : les investisseurs étrangers sont plus réticents à se tourner vers le marché libanais, désavantagé par les menaces d’instabilité. Les touristes arabes, du Golfe notamment, ont une nouvelle excuse pour écarter cette année encore l’option d’un séjour estival à Beyrouth… C’est dire qu’une atmosphère de morosité pèse sur ce début d’été qui n’est pas sans ramener à l’esprit de certains politiques le souvenir de 2006, et l’ambiance ayant précédé la guerre des trente jours entre Israël et le Liban. Cette année-là, en dépit des mises en garde françaises communiquées par Jacques Chirac à Saad Hariri, qui les a transmises à la table de dialogue, de ne pas provoquer Israël, le Hezbollah avait entrepris d’enlever des soldats israéliens aux frontières en violant la ligne bleue. Cet acte déclencheur de la guerre de juillet fera dire à Hassan Nasrallah après coup : « Si je savais… » Ce remords apparent résonne plus que jamais aujourd’hui comme un artifice, à l’heure des nouvelles menaces proférées contre Israël, dont le Liban paye d’ores et déjà le prix.
Le souci de préserver un certain équilibre entre les intérêts de l’Iran et ceux du Liban n’est même plus simulé par le Hezbollah. Le pays du Cèdre n’est plus qu’un outil parmi d’autres de l’influence iranienne dans la région. Et le discours de Nasrallah est comme une proclamation solennelle que le Liban est un terrain acquis pour Téhéran, dont il peut user à sa guise. Cette position radicale est une première réponse au triple sommet de Riyad, qui avait annoncé le début de la contre-offensive arabe aux ingérences iraniennes dans la région.
En parallèle, l’Iran tente de récupérer la carte palestinienne : l’offensive verbale de Hassan Nasrallah contre l’Arabie qu’il accuse d’être l’alliée d’Israël est elle aussi une réaction directe aux efforts déployés au sommet de Riyad pour ramener le Hamas dans le giron arabe.
En somme, le discours de Hassan Nasrallah annonce une nouvelle phase de confrontations irano-saoudiennes, qui pourrait fort bien provoquer une nouvelle guerre avec Israël.
La question reste de savoir toutefois si l’Iran a les moyens de cette guerre au Liban. Et ce même si le secrétaire général du Hezbollah a paru faire fi des sanctions américaines en vue et des efforts menés par des responsables libanais pour les prévenir, voire pour les étouffer dans l’œuf…