« Le Liban qui connaît le prix de la guerre ne veut pas être aujourd’hui entraîné dans le chaos ambiant et la France sera à ses côtés », a assuré depuis la base aérienne de Beyrouth le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, estimant que l’ampleur du projet est « inégalée ».
Béchara MAROUN | OLJ
Après de nombreux mois d’attente et de nombreuses formalités administratives et protocolaires, le don saoudien à l’armée libanaise, d’une valeur de trois milliards de dollars, s’est enfin concrétisé ou, tout au moins, a connu hier un début d’exécution. Faisant taire les plus sceptiques, la France a marqué le début de cette semaine par la livraison des premiers équipements militaires achetés par l’Arabie pour le Liban, soit 48 missiles antichars Milan. Pour souligner toute l’importance de l’événement, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui était en visite en Jordanie durant le week-end, a fait le déplacement jusqu’à la base aérienne de Beyrouth, à l’aéroport Rafic Hariri, qui grouillait de journalistes tôt le matin. Parmi eux, de nombreux journalistes français et européens qui ont attendu pendant plus d’une heure que le ministre de la Défense, Samir Mokbel, et le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, débarquent d’un hélicoptère sur la piste. Quelques instants plus tard, un autre hélicoptère transportant le ministre français s’est posé sur la base aérienne, près d’un régiment de la troupe libanaise devant lequel étaient posés les coffrets renfermant les précieux missiles. Parmi les personnalités présentes, l’ambassadeur français Patrice Paoli et l’ambassadeur saoudien à Beyrouth Ali Awad Assiri.
Prenant la parole en premier, le ministre Mokbel a indiqué que « la visite amicale de M. Le Drian revêt une importance toute particulière qui exprime la profondeur des relations amicales entre les deux pays et l’attention que porte la France au Liban ». « Nous avons besoin de cette première livraison d’armes afin de lutter contre les groupes terroristes et takfiristes, et afin de renforcer la surveillance et la protection des frontières, a ajouté M. Mokbel. Nous aimerions également remercier le royaume d’Arabie saoudite pour ce don extrêmement important. Je voudrais également rappeler le rôle joué par le président Michel Sleiman sur ce plan. Nous lui sommes redevables car il n’a cessé d’œuvrer afin d’armer la troupe. Nous profitons de l’occasion également pour remercier l’ensemble des pays amis qui continuent d’aider l’armée en termes de matériel et de formation afin de renforcer la résistance de l’armée libanaise, de sauvegarder les frontières et de préserver la paix civile. Nous remercions en particulier les États-Unis qui ont été parmi les premiers pays à armer nos soldats, ainsi qu’un certain nombre de pays européens et arabes. »
Et M. Mokbel de poursuivre : « La victoire du Liban face aux groupuscules takfiristes peut être considérée comme une victoire de l’ensemble des pays proches et lointains qui sont menacés par ce terrorisme qui ne peut prétendre se réclamer d’une religion ou d’une nationalité. Je remercie enfin mon homologue français pour sa visite amicale et pour sa profonde compréhension des dangers qui menacent le Liban, que ce soit sur le plan militaire aux frontières ou à l’intérieur suite à l’afflux de réfugiés syriens qui ne cesse de menacer la stabilité de façon générale. »
Modernisation et restructuration
De son côté, Jean-Yves Le Drian a tenu à saluer le président Sleiman pour le rôle qu’il a joué sur le plan de cette aide militaire, affirmant que « la France et le Liban entretiennent des relations fraternelles bien avant la dégradation de la situation au Levant et le danger existentiel qui menace les pays de la région depuis trois ans ». Le ministre a réitéré le soutien de la France au Liban « pour qu’il reste un vecteur de stabilité, à l’heure où il est soumis à des pressions sans précédent de Daech et d’al-Nosra, et après avoir payé le prix fort à Ersal ». « J’ai donc une pensée toute particulière pour les militaires otages et leurs familles, a souligné Jean-Yves Le Drian. Ce pays qui connaît le prix de la guerre ne veut pas être aujourd’hui entraîné dans le chaos ambiant et la France a été et sera à ses côtés pour cela. Pour continuer de mener à bien cette mission, l’armée a besoin de nouvelles capacités pour entrer dans une nouvelle ère d’opérations militaires. Il s’agit de moderniser et de structurer. Ce sont les deux buts qui ont guidé l’élaboration du projet qui n’est pas un simple projet de fournissement militaire. L’un des objectifs est de former des centaines de soldats aux techniques d’utilisation de ce nouveau matériel, et 60 officiers français seront déployés au Liban pour cela. Nos écoles militaires accueilleront également des stagiaires libanais. Le second effort sera axé autour d’une aide à l’armée afin d’accroître la coopération entre ses différentes composantes. »
Au total, la France devrait livrer 250 véhicules de combat ou de transport de troupes et de matériel, sept hélicoptères Cougar, trois corvettes et de multiples équipements de reconnaissance, d’interception et de communication. La formation des soldats est prévue pendant sept ans et la maintenance des équipements devrait couvrir une période de dix ans. « Ce projet est cohérent avec le projet d’armement publié par l’armée libanaise en 2013 pour cinq ans, a conclu le ministre français qui a assuré que la prochaine livraison est prévue le mois prochain. Ce projet répond donc aux enjeux sécuritaires d’aujourd’hui. Il s’agit du début d’un nouveau cycle dans le cadre des relations bilatérales et d’une phase nouvelle qui s’étalera sur 10 années, un projet d’une ampleur jusque-là inégalée. »
Le dédain de Assiri pour le discours de Nasrallah
Les allocutions des deux ministres ont été suivies d’une courte conférence de presse et d’une explication démonstrative concernant les 48 nouveaux missiles reçus de type Milan. Depuis les années 80, ce missile de fabrication française a été massivement utilisé par la troupe libanaise et a prouvé son efficacité. L’ancien matériel, toujours opérationnel, présente toutefois des limitations relatives au temps et à la visibilité nocturne, ainsi qu’une efficacité restreinte dans la pénétration des blindages modernes. Les nouveaux modèles reçus devraient, eux, assurer un bond qualitatif dans les conditions de combat.
Sur un autre plan, la cérémonie n’a pas manqué d’être une occasion pour parler de sujets politiques, notamment en raison de la présence de l’ambassadeur saoudien dans les tribunes, après la virulente attaque du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah contre l’Arabie, lors de son dernier discours vendredi. Interrogé à propos du don iranien à la troupe libanaise, Samir Mokbel a assuré que la troupe est prête à accepter « n’importe quelle aide si elle est offerte sans condition ». « Le don iranien doit passer pour cela par le Conseil des ministres et les sanctions imposées par l’Onu sur l’Iran doivent d’abord être levées », a-t-il indiqué.
Dans un point de presse, l’ambassadeur Assiri a pour sa part assuré que l’Arabie a voulu « soutenir la légitimité » à travers son don. « Partout, nous soutenons le gouvernement et non pas les milices, que ce soit au Liban ou au Yémen », a-t-il déclaré. Interrogé sur le dernier discours de Hassan Nasrallah, M. Assiri a affirmé que « l’Arabie voit le Liban en tant que gouvernement ». Et d’expliquer : « Nous n’accordons pas la moindre importance à ce que quelques composantes peuvent dire. Nous dédaignons toute voix dissidente qui s’oppose à la voix officielle et légitime du cabinet. »