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Le drapeau de l’EI brandi par les réfugiés à Ersal, Tripoli dans l’œil du cyclone

La destinée du pays semble désormais aux mains du Front al-Nosra et de l’État islamique qui, pernicieusement, diffusent chaque jour un peu plus leur venin dans les profondeurs du territoire libanais. Journée d’extrême tension en perspective aujourd’hui à Tripoli où des appels au rassemblement des sunnites se sont multipliés pour exprimer la solidarité avec les réfugiés syriens victimes d’une « punition collective injustifiée ».

Jeanine JALKH

C’est l’impression que veulent donner en tous les cas ces deux groupes terroristes qui ont pris le mauvais pli de dicter, presque régulièrement aux Libanais et à leurs gouvernants, ce qu’ils doivent et ne doivent pas faire, ce qu’il faut et ne faut pas faire. « Votre armée est en train de dessiner les contours de votre avenir par son comportement », devait tweeter hier le Front al-Nosra, qui, sans ambages, a menacé les Libanais en ces termes : « Êtes-vous prêts à payer le prix de la confiance que vous avez placée en elle ? »
Ces mises en garde ont été postées sitôt après la série de rafles que l’armée a effectuées à l’aube dans des camps de réfugiés syriens à Ersal, arrêtant plusieurs d’entre eux (plus de 400, selon les rumeurs), soupçonnés d’appartenir à des groupes terroristes ou de collaborer avec eux. Parmi les personnes arrêtées, un responsable d’al-Nosra et un officier déserteur de l’armée libanaise, qui s’est avéré être un expert de la guerre électronique.
Les perquisitions menées par l’armée, qui a également intercepté plusieurs suspects à un barrage à Wadi Hmayed dans le jurd de Ersal, s’inscrivent dans le cadre d’une opération préventive pour empêcher un afflux additionnel d’éléments armés en provenance de Syrie. Si les arrestations du matin ont irrité les milieux proches des islamistes, c’est surtout l’incendie qui s’est déclaré dans l’un des camps adjacents qui a véritablement mis le feu aux poudres. Cherchant à s’échapper à la troupe, trois éléments armés ont incendié les tentes, devait préciser l’armée. Après les avoir surpris en flagrant délit, les soldats ont tiré dans leur direction, tuant l’un d’eux et blessant les deux autres. Une vingtaine de tentes, sur un total de 250, ont été incendiées.
Inspiré d’un scénario visant à présenter les réfugiés syriens comme étant victimes des actions de l’armée libanaise – une stratégie utilisée depuis un certain temps contre la troupe –, l’incident n’a pas tardé à exacerber la tension au sein de la population des camps. Un mécontentement relayé, à plusieurs dizaines de kilomètres de là, par certains milieux sunnites de Tripoli, qui ont immédiatement pointé un doigt accusateur en direction de l’institution militaire, via les médias sociaux.
À Ersal, le spectacle était à n’en point douter dantesque : plusieurs dizaines de réfugiés syriens se sont rassemblés devant la municipalité du village – symbolisme oblige –, pour protester, acclamant à pleins poumons l’État islamique. Le drapeau du groupe terroriste a été brandi bien haut devant les yeux effarés de la population locale. Le président de la municipalité, Ali Hujeiri, que certains accusent d’avoir exploité à fond la carte des réfugiés pour des intérêts personnels, a brillé par son absence devant les hordes furieuses qui, implicitement, lui signifiaient son congé prochain.
« Ils veulent que l’armée s’en aille et qu’on leur laisse Ersal, pour y inviter Abou Bakr al-Baghdadi. Un peu comme si c’était nous les invités ici », se désole, sur un ton sarcastique, un habitant du village qui a assisté, interloqué, à la manifestation.
Pour couper court aux rumeurs alimentant la campagne de dénigrement orchestrée depuis un certain temps contre son institution, le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, a assuré que la troupe n’imposait pas de blocus à la ville de Ersal.
« L’armée libanaise tient à la sécurité de nos concitoyens à Ersal et il n’y a aucun blocus imposé à la ville et à ses habitants », a souligné M. Kahwagi. L’officier a tenu à rappeler que l’armée déploie tous les efforts requis « pour préserver la sécurité des Libanais dans toutes les régions du pays, sans différenciation ».
Des propos qui n’ont vraisemblablement pas convaincu le Comité des ulémas qui, dans une conférence de presse, a évoqué « une punition collective infligée aux réfugiés syriens à Ersal ». « Est-il possible qu’il y ait eu 475 suspects dans les camps durant toute cette période sans que personne ne s’en doute ? » s’est interrogé son porte-parole. Les dignitaires sunnites se sont bien gardés toutefois de lancer des accusations dans un sens ou un autre, réclamant « une enquête sur les violations commises contre les réfugiés syriens innocents ».

Le danger au Liban-Nord
Les ulémas, qui projettent d’ailleurs exprimer plus explicitement leur solidarité avec les réfugiés, ont lancé un appel en vue d’un rassemblement prévu aujourd’hui à Tripoli sur le thème du « refus de la décapitation de Ersal ». Un jeu de mots mal approprié lorsque l’on sait que 27 militaires risquent leur vie à n’importe quel instant, après que trois autres aient été sauvagement décapités par les groupes islamistes, qui ont d’ailleurs été activement soutenus par une partie des réfugiés de Ersal, lors de l’affrontement avec l’armée.
D’ailleurs la rumeur avait circulé hier matin à Tripoli sur d’éventuelles menaces de tuer incessamment les otages, en réaction à ce qui s’est produit à Ersal. Une information démentie sitôt après. C’est à Tripoli même, caisse de répercussion par excellence de la crise syrienne que se déversera également le flot de protestation contre l’armée aujourd’hui.
En soirée, un appel a été lancé par les « jeunes musulmans à Tripoli », faisant écho à l’appel des ulémas. Les jeunes exhortent tout sunnite à se « rebeller après la prêche du vendredi contre l’injustice et à soutenir nos frères à Ersal ainsi que les réfugiés syriens ».
L’appel vaut également pour « l’ensemble des régions sunnites au Liban », invitées à exprimer leur compassion de la même manière. Il reste à voir si les rassemblements devant les mosquées se transformeront aujourd’hui encore, à l’instar de vendredi dernier, en une acclamation de l’État islamique. Une réaction que les ulémas ont justifiée par « l’injustice croissante qui pousse certains à se réfugier chez celui qui peut les protéger ».
Massivement déployée dans la capitale du Nord depuis un certain temps, l’armée aura aujourd’hui du pain sur la planche : contrôler tout débordement mais aussi se protéger, puisqu’elle est désormais la cible d’attaques soutenues depuis plusieurs jours. Hier, la troupe a compté de nouvelles victimes parmi ses soldats au Akkar : deux nouvelles recrues ont été visées aux pieds par des éléments armés. Pour les punir, vraisemblablement, d’avoir choisi de se rallier à l’institution nationale en lieu et place de l’État islamique auquel les extrémistes aspirent.