Aux États-Unis, il y a néocons(ervateurs) et néocons. Si Barack Obama, et donc, aussi, David Cameron, ne lui avaient pas posé un gigantesque lapin en 2013 empêchant les avions occidentaux de commencer à frapper les forces d’Assad en Syrie, le Moyen-Orient n’en serait probablement pas là. À l’époque, François Hollande avait failli s’étouffer de rage. Surtout qu’à ce niveau, le président socialiste continuait, comme son prédécesseur mais avec plus de nuances, de dynamiter le paradigme gaullo-mitterrandien, remis à l’honneur avec le tintamarre dont tout le monde se souvient par un certain Dominique de Villepin, et qui consistait, en diplomatie, à prendre systématiquement, aveuglément, le contrepied de Washington.
L’épisode syrien et la détermination de François Hollande à faire le ménage dans les printemps arabes, deux gros ratés, n’ont en rien entamé l’appétit du locataire de l’Élysée à compenser à l’international son manque affolant de poids, de cons(is)tance et de popularité en interne. Pour l’Europe, et malgré le bonnet d’âne (économique) dont la France est en train de se coiffer, comme un inévitable choixpeau magique dans le Poudlard, berlinois cette fois, naturellement, de Harry Potter, Paris continue de maîtriser cette path dependency au cœur du chantier, éternel work in progress, d’une UE frénétiquement accrochée au TGV de la mondialisation. Concernant l’Asie, rarement, les relations franco-chinoises n’ont été aussi bonnes. Même en Amérique latine, sous-continent hyperémergent, les effectifs du Quai d’Orsay sont redistribués à la hausse. Enfin, sur le continent originel, François Hollande a réussi, entre Mali et Centrafrique notamment, à conjuguer interventionnisme classique et refus catégorique de résurrection, sous quelque forme que ce soit, de tout embryon de Françafrique. Surtout qu’il entend gérer d’une main d’airain, répète-t-il, l’incommensurable scandale-tsunami des abus sexuels de ses soldats pendant l’opération Sangaris.
Et puis, et surtout, il y a la galaxie arabe. Après avoir réussi, malgré toutes les vicissitudes, à garder en même temps l’amitié d’Israël et de l’Autorité palestinienne ; après avoir réalisé ce que Nicolas Sarkozy a toujours rêvé de faire : vendre des avions de combat au Qatar ; après avoir préservé, aussi fragile soit-il, un statu quo plus ou moins fécond avec un Maghreb diversement tourmenté ; après avoir (dé)montré une intransigeance de béton face au gang Assad en Syrie et après avoir fait de la maison Élysée l’escale volontiers obligée de presque tout ce que l’échiquier libanais compte de souverainistes, voilà que François Hollande devient le premier chef d’État occidental invité d’honneur à Riyad d’un sommet du très bunkerisé, limite autarcique, Conseil de coopération du Golfe, bien avant que Barack Obama ne reçoive rois et autres émirs à Camp David. Ce n’est plus François d’Arabie, c’est Kissinger d’Arabie, savamment softcorisé – fabiusisé, en réalité.
Ahurissants sont ainsi le pragmatisme et le bon sens de l’immersion française made in Hollande en terres arabes : partout où l’Américain tergiverse, recule, baisse les yeux, le Français s’engouffre, s’assoit, s’installe, armé jusqu’aux rétines de cette diplomatie prioritairement, fondamentalement, économique, tellement, (mal)heureusement, désidéologisée jusqu’à la moelle. Ou presque : rarement méfiance à l’encontre d’un pays, l’Iran en l’occurrence, n’aura été aussi partagée comme elle l’est par Paris et les pays du Golfe.
Peu importe si François Hollande parvient à aller au-delà des transactions commerciales et des symboles ; peu importe si la feuille de route politique, économique, stratégique et militaire franco-arabique se concrétise ou reste déclaration d’intentions ; peu importe s’il gagne ou non son pari saoudien ; peu importe s’il entre ou pas dans le top 100 du Time des personnalités les plus influentes : ce n’est absolument pas ainsi qu’il conservera l’Élysée dans deux ans. S’il se représente. Même s’il vend 360 Rafale par ans. Et 50 Mistral. Il en restera quoi en 2017 si rien, de dedans, ne change ? Un corps mort pour des cormorans ?
Peu importe. Ce sera l’art pour l’art. Personne ne l’avait fait avant lui. Pas comme ça. Pas autant.