Entre une avancée jihadiste tentaculaire qui nous vient de Syrie, qui tente de s’enraciner aux frontières, et une menace israélienne qui se dévoile sur le Golan et lorgne vers le Sud, le Liban peut se targuer d’être aux premières loges pour prendre le pouls d’une région en pleine ébullition, pour prévoir le cours que prendront les événements.
Le Hezbollah, acteur majeur dans les deux cas de figure, aura inévitablement son mot à dire. Mais, aujourd’hui, Hassan Nasrallah doit être bien embarrassé : pris au double piège de l’enclume syrienne et du marteau israélien, écartelé entre son engagement auprès de la machine à tuer du régime de Bachar el-Assad et sa volonté parallèle de poursuivre le combat contre l’État hébreu, il voit sa marge de manœuvre se rétrécir progressivement.
Wait and see : telle est, d’ailleurs, l’attitude que le chef du Hezbollah a adoptée après le raid israélien du 18 janvier à Kuneitra qui a ciblé aussi bien les combattants du parti chiite que ceux de leur mentor iranien. Et ce n’est que le vendredi 30 janvier qu’il s’adressera à ses « ouailles » pour leur fournir les explications auxquelles ils ont naturellement droit.
Rappelons que trois jours avant le raid Nasrallah avait tenu un discours particulièrement belliqueux avertissant que son parti détenait des missiles pouvant atteindre tout le territoire israélien et que ses hommes n’attendaient que son ordre pour envahir et occuper la Galilée. La réponse musclée de l’État hébreu est vite arrivée, une manière de dire : message bien reçu…
Que va donc pouvoir dire Hassan Nasrallah alors que de toute évidence il marche désormais sur des œufs et qu’il est tenu, plus que jamais, de tenir compte des impératifs de la diplomatie iranienne engagée dans des négociations cruciales et déterminantes avec les États-Unis. Toute annonce qu’il pourrait faire, toute décision qu’il pourrait prendre risqueraient de l’enferrer dans une situation inextricable si elles venaient à ignorer les réalités politiques du moment et les équilibres imposés par les grands décideurs.
Mais le Hezbollah peut-il se permettre de laisser le message israélien sans réponse, de prendre le risque d’une perte de crédibilité en tant que Résistance, alors que son fourvoiement en Syrie lui a déjà fait perdre beaucoup de plumes ?
Quelles sont donc les options auxquelles le parti chiite pourrait recourir pour sauver la face et répliquer au camouflet israélien, sans pour autant embarrasser Téhéran engagé dans une vaste entreprise de réhabilitation internationale ?
Rouvrir le front au Liban-Sud ? Inenvisageable aujourd’hui alors que la catastrophe de juillet 2006 est encore dans toutes les mémoires et que les blessures autant physiques que morales n’ont pas encore été cicatrisées. Récidiver c’est engager le Liban dans une nouvelle aventure destructrice dont il ne se relèvera plus.
Entreprendre une opération à l’étranger contre des intérêts israéliens ? Très peu probable, le Hezbollah se verrait de nouveau catalogué organisation terroriste, une « coloration » dont il veut désespérément se débarrasser mettant en avant sa participation à la « bataille mondiale » contre le jihadisme islamiste.
Quelle option reste-t-il donc pour le Hezbollah, quelle direction prendre dans un contexte aussi difficile ? Logiquement, là où les Israéliens ont, en quelque sorte, tendu la perche aussi bien au parti chiite qu’aux Iraniens : le Golan, lieu des gloires perdues et de toutes les rédemptions… là où les combattants chiites et iraniens tâtaient déjà le terrain avant d’être débusqués par les Israéliens.
Ressusciter le front syrien après de longues années d’un sommeil complice, ce serait, en quelque sorte, une revanche de l’histoire, un rappel de toutes les compromissions passées, de tous les mensonges accumulés par les Assad père et fils qui n’ont pas arrêté, jusqu’à l’éclatement de la guerre civile dans leur pays, de se défausser sur le Liban : les slogans guerriers, les fanfaronnades pour eux, le sang versé, les destructions et les affres des affrontements internes pour nous.
Que dira donc Hassan Nasrallah vendredi prochain pour rassurer et pour redynamiser ses partisans, tous ceux qui ont perdu leurs repères et se heurtent à plus d’une interrogation ? La réponse, de toute évidence, nécessite beaucoup de palabres et d’importantes remises en question.