Les actions actuelles du président de la Chambre, Nabih Berry, en faveur du dialogue, bénéficient-elles d’un parrainage étranger non révélé, ou bien se basent-elles uniquement sur sa propre analyse politique ?
Un ministre révèle que le président Berry lui a fait confidence du fait qu’il ne comptait que sur la providence pour la réussite du dialogue. Il n’aurait reçu aucune garantie, d’aucune partie, sur une éventuelle résolution des dossiers bloqués, à commencer par la présidentielle. Ses efforts ne seraient dictés que par son intuition et son aptitude à décoder les signes émanant de l’une ou de l’autre partie, toujours selon le ministre qui le cite.
Un diplomate libanais affirme, quant à lui, qu’il n’existe aucun parrainage étranger au dialogue, mais seulement des signes diplomatiques auxquels s’est agrippé Nabih Berry. Ces signes convergent tous sur l’urgence d’élire un président de la République et reflètent une volonté extérieure unanime d’isoler la crise libanaise des développements régionaux. Un diplomate arabe résidant à Paris décrit une ambiance internationale propice au dénouement des dossiers libanais, mais une ambiance qui ne s’est pas encore mue en véritable décision, susceptible d’imposer un nouveau chef de l’État, comme cela avait été le cas en 2008. D’ailleurs à l’époque, ce sont les incidents du 7- Mai qui avaient conduit à la décision internationale d’élire un chef de l’État. Un homme politique du 14 Mars se demande s’il nous faudra subir un nouveau 7-Mai pour obtenir le déblocage de la présidentielle. Il se demande surtout qui en sera l’auteur, et si les menaces de l’État islamique et du Front al-Nosra pourraient servir de catalyseur à l’éventuelle décision internationale de combler la vacance à la magistrature suprême. Mais le scénario d’un 7-Mai reste peu probable, comme l’affirme un ministre, d’autant plus qu’un diplomate occidental souligne avec insistance le fait que la sécurité du Liban constitue une ligne rouge, bien gardée par ailleurs par la sage gestion du Premier ministre Tammam Salam.
Il n’existe donc aucun appui international clair et concret à l’initiative de Nabih Berry. Si les milieux de Aïn el-Tiné estiment que le dialogue pourrait conduire à un accord sur la présidentielle, d’autres se montrent moins optimistes. Un ministre affirme, par exemple, que le dialogue servira à répandre une ambiance positive, sans plus, à moins de l’émergence de nouveaux facteurs à partir d’une amélioration des rapports irano-saoudiens notamment.
En somme, même s’il est convenu que les solutions libanaises ne doivent pas attendre les développements régionaux, elles ne semblent pas près d’émaner des acteurs libanais. D’ailleurs, un observateur questionne l’utilité du dialogue Hezbollah-Futur, en l’absence d’une couverture étrangère d’une part, et d’une décision de traiter les points litigieux, d’autre part. « Quel est donc ce dialogue où le Hezbollah n’est prêt à aucune concession, y compris sur la présidentielle ? » s’interroge cet observateur.
Ces questions sont favorisées par une affirmation que rapporte un ministre, citant l’un de ses collègues du Hezbollah, dont la teneur est que le parti chiite n’a pas l’intention de renoncer à son allié chrétien, le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, en tant que candidat à la présidence. Un proche des milieux du Hezbollah explique la portée stratégique de l’alliance du Hezbollah avec un allié fort sur la scène chrétienne et nationale. En pratique, le parti chiite compte sur son allié dans ce qui touche à la politique intérieure, en dépit de certaines divergences entre les deux parties sur certains sujets. Le secrétaire général du Hezbollah avait lui-même dit qu’il devait beaucoup au général Aoun. C’est dans ce contexte qu’il faudrait situer la visite de la délégation Amal-Hezbollah à Rabieh, au lendemain de la reconduction du mandat parlementaire, et l’appui déclaré du ministre Ali Hassan Khalil au « candidat fort » qu’est Michel Aoun. En tout état de cause, si le parti chiite décidait de renoncer à son allié, il risquerait de perdre sa crédibilité auprès de ses autres alliés, étant fort d’une loyauté déclarée à ces derniers. C’est ce que disent craindre en tout cas des milieux du 8 Mars.
Pour le 14 Mars, l’attachement du Hezbollah à son allié cessera lorsque ce dernier renoncera à sa candidature et acceptera de devenir un électeur principal. Un ministre du 14 Mars énumère néanmoins quatre facteurs susceptibles d’ébranler la situation : un accord saoudo-iranien, une entente entre Téhéran, l’Arabie, Washington et Le Caire, sur les dossiers régionaux, sinon, au niveau intérieur, un nouveau 7-Mai, ou un effondrement du cabinet Salam…
En attendant, le Hezbollah tentera-t-il de convaincre ses interlocuteurs du 14 Mars d’élire le chef du CPL ? C’est en tout cas la seule démarche positive et plausible à attendre du 8 Mars au niveau de la présidentielle. Même si l’on sait que l’attente sera le maître mot de la période actuelle. Un diplomate occidental affirme clairement que « nous ne serons pas plus royalistes que le roi, à l’heure où certains dirigeants libanais n’assument pas leur responsabilité ». Un autre rapporte « le souci profond de la France de débloquer la présidentielle ». Un responsable arabe met en garde contre « une situation où le Liban est au bord du gouffre ». Dans ce contexte, la question demeure celle de savoir jusqu’à quand faudra-t-il attendre que le souci de protéger le Liban se transforme en action ?
À cette question, un diplomate occidental répond que le trimestre prochain sera décisif, le mois de mars étant fixé pour l’entente entre l’Iran et les puissances occidentales sur le nucléaire. Mais là encore, si cette entente devait aboutir, le dossier libanais serait-il prioritaire, ou devrait-il attendre le dénouement de la crise syrienne ?
Le schéma se complique lorsque l’on apprend par exemple que Damas a signalé à ses alliés libanais qu’il aura son mot à dire au niveau de la présidentielle. Autrement dit, Damas envisage d’opposer son veto à tout candidat qui lui est hostile. Une source diplomatique affirme dans ce sens que la position irano-syrienne est entièrement favorable au maintien de la candidature du général Michel Aoun, en tant que moyen de pression au niveau d’éventuelles négociations.
Force est de relever toutefois que c’est à l’Arabie saoudite que le 8 Mars renvoie la responsabilité du blocage de la présidentielle. L’attachement du royaume à la candidature du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, tout en sachant que ce dernier a peu de chances d’être élu, même dans les rangs du Futur, serait fort significative de la position saoudienne : s’opposer à tout candidat susceptible de couvrir la participation du Hezbollah aux combats en Syrie, d’autant plus, le gouvernement actuel a déjà fourni au 8 Mars la couverture qu’il recherchait. Les milieux du 8 Mars estiment en outre que la demande de l’Arabie saoudite adressée à l’Onu d’ajouter le Hezbollah à sa liste d’organisations terroristes, à la veille du dialogue Hezbollah-Futur, trahit sa volonté de faire avorter ce dialogue, en dépit des assurances contraires de l’ambassadeur d’Arabie depuis Aïn el-Tiné.
Pour un député du 8 Mars, l’Arabie saoudite est elle aussi soucieuse de garder entre ses mains un moyen de pression.
Les déclarations des uns et des autres se rejoignent, en somme, sur une seule certitude, mille fois remâchée : c’est à défaut d’un rapprochement irano-saoudien que la soi-disant libanisation de la présidentielle a échoué