Le compromis autour de la candidature de Sleiman Frangié attend encore une position claire de la part du Hezbollah qui en hâterait la consécration. Retranché dans son mutisme, le parti chiite continue d’adresser des signaux de soutien à Michel Aoun, sans lui demander lui-même de retirer sa candidature en faveur du leader des Marada. Selon des sources proches du 8 Mars, le Hezb attendrait la rencontre prévue bientôt entre MM. Aoun et Frangié à Rabieh, sur laquelle ont convenu les deux hommes lorsque le député de Zghorta a présenté ses condoléances au chef du bloc du Changement, mercredi soir, pour le décès de son frère. Cependant, le parti chiite ne peut pas rester éternellement silencieux et va devoir prendre position. Or il lui serait impossible de se mettre en travers d’une décision étrangère favorable à la libanisation de l’échéance à travers un compromis libanais. Aussi sera-t-il contraint de trancher après la réunion Aoun-Frangié.
De son côté, le patriarche maronite, de retour de l’étranger, a saisi la balle présidentielle au bond, d’autant que M. Frangié est l’un des quatre pôles maronites qui s’étaient réunis ensemble à Bkerké et qui s’étaient engagés par écrit à s’entraider pour assurer le succès de celui parmi eux qui parviendrait à créer un consensus autour de sa candidature. Le Courant patriotique libre, les Forces libanaises et les Kataëb n’ont pas encore dit leur dernier mot sur l’entente suggérée, réclamant des garanties extérieures et posant des conditions. Iront-ils jusqu’à former un nouveau Helf tripartite comme en 1968 ?
Pour un ministre chrétien, cela est peu probable, en raison du manque de confiance entre les trois pôles maronites opposés à la candidature de Sleiman Frangié et de l’absence d’entente entre eux sur les revendications et les conditions à soulever. Chacun de ces partis a ses propres angoisses et ses propres demandes, et chacun réclame des garanties spécifiques à M. Frangié ou aux parrains régionaux et internationaux. Le parti Kataëb, à titre d’exemple, a dressé une liste de revendications, tandis que les FL ont fait part de certaines de leurs craintes.
Michel Aoun, lui, a exprimé sa stupéfaction de voir que le compromis prévoit que le pôle le plus fort du 14 Mars – Saad Hariri – soit pressenti à la présidence du Conseil, tandis que ce n’est pas le pôle le plus fort sur le plan de la représentativité au sein du 8 Mars – lui-même – qui est pressenti pour la présidence de la République. Cependant, les sources proches du leader zghortiote indiquent que ce dernier refuse toutes conditions préalables, mais qu’il est disposé à l’entente et à discuter de tout, dans la mesure où il souhaite être le président de tous les Libanais, et non celui d’une partie, et veut bénéficier de l’appui des forces et de la rue chrétiennes. Une autre raison pour laquelle il n’y aura pas de Helf, cette fois, ajoute par ailleurs le ministre chrétien précité, est qu’il n’y a plus de place aujourd’hui pour les alliances à caractère communautaire, désavouées par la rue.
Après le retour de Béchara Raï, le patriarcat maronite a souligné qu’il refuse l’équation « Sleiman Frangié ou le chaos », similaire à celle de l’émissaire américain Richard Murphy en 1988, « Mikhaël Daher ou le chaos ». Pour Bkerké, il faut œuvrer pour la protection du président, quel qu’il soit, et consolider ses assises. Selon des sources proches de Mgr Raï, ce dernier intensifie ses contacts pour assurer l’élection d’un président lors de la 33e séance électorale, le 16 décembre, ou bien celle qui aurait lieu le 22 décembre. Il y aura un président de la République avant Noël, soulignent ces sources.
Une raison supplémentaire qui empêcherait la formation d’un nouveau Helf est que lors d’une réunion à Bickfaya avant la séance législative, Sleiman Frangié avait indiqué qu’il soutiendrait Amine Gemayel au cas où le 14 Mars proposerait sa candidature. Le parti Kataëb rendrait-il la pareille à M. Frangié en soutenant sa candidature ? En tout état de cause, les Kataëb ne sont pas contre la personne du leader des Marada, mais refusent de voter pour un pôle qui soutient la ligne politique adverse, comme l’a répété hier Samy Gemayel de Bkerké.
Samir Geagea, de son côté, préfère étudier la situation minutieusement avant de prendre position. Il ne veut pas détériorer sa relation avec l’Arabie saoudite et souhaite préserver l’unité des composantes du 14 Mars et les acquis de la révolution du Cèdre. Kataëb et FL ne peuvent pas s’allier à Michel Aoun, qui est le partenaire du Hezbollah. Partant, le tandem 14 marsiste chrétien reste isolé. Par ailleurs, MM. Geagea et Gemayel ne peuvent pas promouvoir la candidature du général Aoun au sein du 14 Mars et en Arabie saoudite, contrairement au message subliminal que le Hezbollah tente de répandre, en l’occurrence que « celui qui a pu faire un compromis en faveur de Sleiman Frangié peut en faire de même avec Michel Aoun » – c’est-à-dire l’Arabie, pas Saad Hariri.
Les trois partis chrétiens sont donc incapables de se retrouver et de s’allier, et peuvent difficilement faire front contre Sleiman Frangié, l’un des quatre pôles maronites et l’un des chefs de file du 8 Mars. Les trois sont donc dans l’embarras et pourraient adopter la candidature du chef des Marada s’il leur donne les garanties demandées.
Tout le monde attend donc la rencontre Aoun-Frangié et la position du Hezbollah qui s’ensuivra. Mais l’on s’attend peu, au sein du 8 Mars, à ce que le parti chiite bouscule la dynamique en cours, en raison des répercussions que cela aurait sur son camp politique et sur le positionnement de M. Frangié lui-même. Le Hezbollah ne peut se passer de son allié précieux, et sait très bien la place qu’il occupe auprès des dirigeants iraniens.