Site icon IMLebanon

Le malaise de Berry de moins en moins justifiable

 

Sandra NOUJEIM 

Il ne fait pas de doute que la célébration de la fête de l’Indépendance mardi dernier a assaini l’atmosphère entre le président Michel Aoun et le Premier ministre désigné Saad Hariri, d’une part, et le président de la Chambre Nabih Berry, de l’autre. Mais que ce dégel augure d’une naissance prochaine du gouvernement reste très incertain.

L’attitude positive que M. Berry a partagée avec ses visiteurs hier ne s’est accompagnée d’aucun signe palpable de solution aux nœuds persistants, à commencer par le portefeuille des Travaux publics. Celui-ci continue d’être l’objet de tiraillements entre les Forces libanaises (FL), le président de la Chambre et les Marada.
La question avait meublé la réunion décrite comme « décontractée », mardi, entre MM. Hariri et Berry : à l’issue du défilé de l’Indépendance, les deux hommes avaient pris la même voiture depuis le centre-ville jusqu’à Baabda, conduite par le premier. Arrivés ensemble au palais présidentiel, ils ont poursuivi leur entretien avec le chef de l’État, avant d’être rejoints par le Premier ministre sortant Tammam Salam.
Ces apartés gigognes auraient conduit à esquisser deux solutions alternatives à la question des Travaux publics, qui restent toutefois incertaines à défaut d’un engagement de l’une ou l’autre partie : Saad Hariri aurait proposé dans un premier temps à Nabih Berry de troquer les Travaux publics contre la Santé, et ce dernier lui aurait réaffirmé, une nouvelle fois, qu’il ne prendrait pas part au cabinet sans le député Sleiman Frangié, dont la participation reste conditionnée à l’obtention d’ un portefeuille de services important (les Télécommunications, l’Énergie ou les Travaux publics). La réunion élargie à Baabda n’a conduit, au final, qu’à des expectatives mutuelles : le camp haririen attendrait du président Berry de substituer la Santé aux Travaux publics et de persuader M. Frangié d’accepter le portefeuille de l’Éducation. En contrepartie, M. Berry attendrait du Premier ministre désigné de convaincre les FL de renoncer aux Travaux publics, en faveur de la Santé, rapporte notre correspondante au palais de Baabda, Hoda Chédid.
Cette zone grise où piétinent les négociations a déteint sur les audiences hebdomadaires du président Berry à Aïn el-Tiné. Bien que souhaitant un déblocage prochain, ne serait-ce que par son souci déclaré d’élaborer une nouvelle loi électorale, il camperait néanmoins sur ses positions. Des sources informées proches de la réunion rapportent à L’Orient-Le Jour que le président de la Chambre souhaite maintenir les mêmes portefeuilles qui relevaient de lui au sein du cabinet Salam, à savoir les Travaux publics, les Finances et l’Industrie.
Il préconise en effet de calquer, sur le cabinet antérieur, la répartition communautaire des ministères : une solution plus rapide, plus aisée et mieux adaptée à la durée de vie limitée du prochain cabinet, rapportent ses visiteurs. Insistant en outre sur le caractère « d’union nationale » du cabinet Hariri, M. Berry prônerait – mais toujours sur base de la formule de vingt-quatre – un calcul des quotes-parts proportionnel à la taille des blocs parlementaires. Il serait donc inacceptable que les FL recueillent quatre portefeuilles, selon lui.
Mais entre une affirmation de principe et une autre, le président de la Chambre aurait glissé une déclaration de bonne intention, rapportée par deux sources concordantes, sur sa disposition à convaincre les Marada de se contenter de l’Éducation, si toutefois les FL renoncent aux Travaux publics en contrepartie de la Santé.
Pour leur part, jusqu’à hier, les FL semblaient toujours camper sur leur revendication. Des sources du parti avaient en outre démenti mardi avoir reçu quelque demande à cet égard en provenance du Premier ministre désigné.
Selon nos informations, les FL seraient en tout cas certaines que quoiqu’elles concèdent, M. Berry y trouvera toujours à redire. Une source indépendante confie toutefois à L’OLJ que la possibilité d’un troc Travaux publics-Santé est en cours d’examen par les parties concernées.
L’autre problème, moins médiatisé, touche à la quote-part du président de la République, qui avait exprimé le souhait de la répartir entre communautés chrétienne, chiite et sunnite (la désignation des deux derniers ministres impliquant en contrepartie la désignation respective par le Premier ministre et le président de la Chambre d’un ministre chrétien). Le problème ne s’étant pas posé pour la désignation d’un ministre sunnite (de l’aveu hier du chef du Courant patriotique libre), le nœud se trouverait en revanche au niveau du ministre chiite censé relever du chef de l’État, sur l’identité duquel Nabih Berry avait réclamé un droit de regard préalable, voire aussi à avancer une liste de noms au président. Certaines informations couraient mardi sur la volonté de M. Berry de céder un ministère chiite (le cinquième de la quote-part du tandem Amal-Hezb) au Parti syrien national social, ce qui a été vite démenti par des milieux du 8 Mars, pour qui la décision est prise d’attribuer ce ministère au Hezbollah.
En rendant ardue la désignation par le président de la République d’un ministre chiite, le président de la Chambre exprimerait ainsi le malaise que lui inspirent, depuis la mise en forme du compromis Aoun, les accords bilatéraux (entendre Futur-CPL, ou CPL-FL) excluant le tandem chiite. Il aurait d’ailleurs donné hier encore l’exemple de deux « longs » apartés qui ont eu lieu mardi en marge des félicitations à Baabda entre les ministres Gebran Bassil et Élias Bou Saab, puis entre Gebran Bassil et Nader Hariri (en présence de Ghattas Khoury). Cela pour expliquer la réticence du président de la Chambre à accepter des solutions l’impliquant, élaborées sans concertation préalable avec lui.
La question reste toutefois de saisir la réalité de ce malaise chiite ainsi affiché. Un malaise dont M. Bassil a clairement mis en doute le bien-fondé hier, lors d’un point de presse à l’issue de la réunion du bloc du Changement et de la Réforme. Il a appelé toutes les parties à participer au gouvernement, fût-il de vingt-quatre, y compris, nommément, les Kataëb, les Marada, le PSNS, Talal Arslane et les sunnites ne relevant pas du courant du Futur. « Si des parties ne souhaitent pas y prendre part, ce sera un cabinet d’union nationale avec la meilleure représentation qui lui ait été donné d’assurer », a-t-il dit, en insistant sur la durée limitée du cabinet et l’enjeu principal d’élaborer une loi électorale avec toutes les parties, y compris Nabih Berry. Faut-il y voir l’indice d’une annonce prochaine du cabinet, en dépit des « détails » restants non avalisés par le tandem chiite ? Une annonce dont la Constitution confie les prérogatives au président et au Premier ministre et qui mettraient les parties récalcitrantes devant le fait accompli ? Quoi qu’il en soit, M. Bassil sera dès aujourd’hui en voyage officiel au Brésil, entretenant le suspense jusqu’à la fin du mois.