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Le nouveau coup d’épée dans l’eau de Michel Aoun

 

La proposition avancée mercredi soir à la télévision par le général Michel Aoun en vue de mettre fin au boycottage par son bloc parlementaire de l’élection présidentielle semblait hier d’ores et déjà vouée au même sort négatif que ses initiatives précédentes, notamment celle relative à l’élection du président au suffrage universel.
En parfaite harmonie avec son discours en faveur du « recouvrement des droits des chrétiens » et de la « correction du déséquilibre » qui s’est installé, selon lui, depuis Taëf, le chef du CPL propose que les chefs de toutes les composantes politiques de la Chambre s’engagent par avance à limiter la course présidentielle aux deux candidats supposés les plus représentatifs sur le plan chrétien, Samir Geagea et lui-même.
C’est à cette condition seulement que les députés du CPL seraient disposés à prendre part à une séance électorale du Parlement pour élire le prochain chef de l’État.
Les premières réactions hier à cette proposition, essentiellement en provenance du 14 Mars, ne laissaient guère entrevoir une suite positive. Même au sein des Forces libanaises, où l’on se félicitait de la nouvelle approche aouniste pour ce qui est de la consécration du duo de tête chrétien, on se montrait dubitatif sur le modus operandi proposé.
« Les FL n’ont pas d’inconvénient à accepter un affrontement entre (MM.) Aoun et Geagea, mais nous ne pouvons rien imposer aux autres », a ainsi commenté le vice-président du parti, Georges Adwan.
Chez les Kataëb, une formation que la proposition du général Aoun relègue automatiquement au rang de figurant chrétien, ou au mieux de second couteau, on se montre évidemment plus virulent. Le chef du CPL « pose des conditions rédhibitoires qui assassinent la démocratie », estime le député Élie Marouni, tandis que le ministre du Travail, Sejaan Azzi, note, avec une bonne dose de sarcasme, que « l’heure n’est pas aux nouvelles propositions, mais à une nouvelle séance de la Chambre pour élire un président ».
Du côté du 8 Mars et des alliés du général Aoun, la proposition de ce dernier a été dans l’ensemble accueillie par un mutisme qui en dit long sur l’état d’esprit qui prévaut dans leurs rangs. Seul le député Michel Moussa, l’un des proches collaborateurs du président de la Chambre, Nabih Berry, s’est manifesté hier pour redire que « le dialogue est l’unique option en vue de parvenir à l’élection d’un président dans les plus brefs délais » : des propos qui laissent deviner un rejet de l’initiative de la part du camp berryste.
Chez les partisans du général, on s’accroche. « Il est temps que les chrétiens recouvrent leurs pouvoirs aussi bien à la tête de l’État qu’au sein du Parlement », souligne le député Nabil Nicolas dans une interview accordée à l’Hebdo-Magazine. Plus directement, son collègue Ibrahim Kanaan a prévenu hier, à la chaîne al-Manar : « Ceux qui refusent que l’affrontement soit limité à MM. Aoun et Geagea ne veulent qu’un président sans représentativité chrétienne. »

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Pour l’ensemble des commentateurs, il va sans dire que cette dernière proposition du chef du CPL est en contradiction flagrante avec la Constitution et avec les fondements mêmes du système démocratique, un candidat n’étant pas habilité à imposer ses conditions aux électeurs et à ses concurrents.
Mais au-delà de ce fait, ce qui frappe le plus dans la démarche aouniste, constante depuis quelques années, c’est l’insistance à vouloir imprimer dans l’opinion chrétienne l’idée que le système politique libanais est une fédération de communautés dont les chefs devraient nécessairement être les piliers de l’État, mais aussi et surtout qu’il fut une époque, avant Taëf, où ce schéma s’appliquait aux chrétiens et que depuis Taëf, ce n’est plus le cas.
La réalité est bien sûr différente. L’élection présidentielle de 1970, la plus « libanaise » de toutes, montre que même à l’époque du triomphe des trois piliers maronites de l’alliance du Helf (Camille Chamoun, Pierre Gemayel, Raymond Eddé), la logique du compromis s’imposait nécessairement, aucun des trois chefs n’ayant pu accéder à la présidence. Pour autant, aucun des trois n’a boycotté à l’époque l’élection sous prétexte que la présidence allait à un candidat moins représentatif.
D’autre part, s’il est vrai qu’un verrouillage exercé au niveau du leadership chiite impose depuis des lustres Nabih Berry à la deuxième présidence, il convient tout de même de rappeler qu’il y a longtemps que M. Berry n’est plus que le « numéro deux » en termes de représentativité chez les chiites.
Quant à la présidence du Conseil, son évolution au cours des dernières années tend à contredire l’argumentation aouniste.
« Nous n’accepterons plus la politique du lapin sortant du chapeau », a encore lancé hier M. Kanaan. Fort bien. Mais alors, il ne fallait pas accepter que Nagib Mikati qui, selon la même logique, était lui aussi un « lapin », fût tiré du chapeau en 2011. Et encore Tammam Salam en 2013…
Au final, nul ne saurait nier la réalité du déséquilibre politique actuel aux dépens des chrétiens. Sauf que ce déséquilibre est essentiellement dû – sur le plan interne du moins – au fait que les communautés musulmanes sont devenues, politiquement, des blocs monolithiques, alors que le pluralisme continue vaille que vaille de prévaloir chez les chrétiens. Faut-il s’en débarrasser pour que les chrétiens soient mieux représentés ?

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Cependant, ce qui précède ne suffira pas à dire pourquoi la proposition du général Aoun ne peut être qu’un pétard mouillé de plus. La vraie raison est ailleurs : le chef du CPL entretient à dessein l’illusion que c’est lui qui bloque la présidentielle pour des considérations liées à l’amélioration de la représentativité chrétienne. En réalité, on sait que le blocage est extérieur, que le prix fixé par Téhéran pour la présidence libanaise est jugé encore trop élevé par ses interlocuteurs. Mais en attendant que les uns et les autres s’accordent, le général est autorisé à donner le change…