La position de l’ambassadeur des États-Unis, David Hale, exprimée vendredi à l’issue de son entretien avec le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, semble pour le moins avoir secoué le Hezbollah, qui lui a répondu hier par la voix de plusieurs de ses députés. Tenant des propos « particulièrement virulents », selon un observateur du 14 Mars, le diplomate avait déploré « le tort que le Hezbollah porte à la stabilité du Liban, en violant la politique de distanciation », ainsi que « sa disposition, rendue manifeste en janvier dernier, à violer les normes internationales et les résolutions du Conseil de sécurité ».
Dans sa réponse au diplomate, le Hezbollah l’a carrément prié de se taire. « J’appelle l’ambassadeur Hale à se taire, et à se tourner plutôt vers les violations sionistes des résolutions internationales et les dizaines d’atteintes portées chaque jour aux droits de l’homme dans la Palestine occupée », a lancé hier un député du Hezbollah, Nawar Saheli, lors d’une cérémonie au Hermel.
S’exprimant de son côté lors d’une cérémonie au Liban-Sud, le député Nawaf Moussaoui a comparé la démarche de l’ambassadeur, « qui a profité d’une tribune officielle pour violer les coutumes diplomatiques », au discours du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, devant le Congrès américain, « attentatoire au président d’une grande puissance ».
En réponse à l’accusation adressée par l’ambassadeur au parti chiite de « prendre des décisions vitales, et peut-être fatales à tous les Libanais, en ne rendant compte de ses actions qu’à des puissances étrangères », un autre député du Hezb, Kamel Rifaï, a repris l’argumentation de ses collègues du bloc du Hezbollah en affirmant que « l’intervention du Hezbollah en Syrie a protégé les villages libanais ».
Au-delà de la polémique limitée au face-à-face habituel entre l’Occident et les tenants de la « moumanaa », la récente déclaration de M. Hale établit un lien entre la politique régionale du Hezbollah et le blocage de la présidentielle, au sujet de laquelle il a fermement appelé à « ne plus temporiser ».
Cependant, la bonne volonté de Washington à l’égard de Téhéran et son souci de signer un accord sur le nucléaire censé sceller un rapprochement historique, garant d’une nouvelle stabilité dans la région, n’encouragent-ils pas une telle « temporisation » ?
Un observateur proche du 14 Mars n’hésite pas à évoquer « un piège tendu par l’Iran, dans lequel les États-Unis semblent être tombés ». En effet, non seulement le rapprochement avec Téhéran a « mis à mal les relations de Washington avec ses alliés israélien et saoudien », mais il a surtout permis à l’Iran d’élargir « son expansion dans la région », à l’heure où les États-Unis font désormais face, de surcroît, à « une nouvelle guerre avec le groupe État islamique ».
La déclaration du président Barack Obama hier, qui affirmait que les États-Unis se retireraient des négociations sur le nucléaire si un accord vérifiable sur le programme nucléaire iranien n’était pas obtenu, explique la récente position de David Hale contre le Hezbollah au Liban.
Celle-ci est en lien direct avec les négociations en cours sur le nucléaire, censées aboutir à un règlement politique avant le 31 mars. Lorsqu’en novembre dernier, l’ambassadeur américain avait tenu des propos inhabituels contre le Hezbollah, qu’il a qualifié d’« obstacle » aussi important à la stabilité du Liban que l’État islamique, cette position précédait d’une semaine la fin des négociations internationales sur le nucléaire.
Pour le ministre-député Nabil de Freige, membre du bloc du Futur, qui estime que « l’accord sur le nucléaire est quasiment conclu », les États-Unis veilleraient désormais à renforcer leur position au niveau des négociations sur la délimitation des zones d’influence iraniennes dans la région, dont le Liban est un terrain « directement pris en compte au niveau des tractations ». Ainsi, les États-Unis chercheraient à rectifier le tir face à l’Iran qui « cherche à s’imposer comme la clé du déblocage de la présidentielle, dont le Hezbollah a orchestré le boycottage », explique-t-il à L’Orient-Le Jour.
C’est ce qui expliquerait l’avis de milieux du 8 Mars, selon lesquels « le Hezbollah gêne les Américains, puisqu’il constitue la seule entrave à la mise en œuvre de leurs projets ».
Le secrétaire général du 14 Mars, l’ancien député Farès Souhaid, fait remarquer, pour sa part, que « la déclaration de l’ambassadeur a été faite à partir du siège du ministère de l’Intérieur, à la veille du départ du ministre Nouhad Machnouk à la fin mars pour Washington, où la question sécuritaire et la coopération du Hezbollah à ce niveau seront au menu des discussions ».
Il a situé dans ce cadre l’annonce par M. Machnouk samedi d’une mise en œuvre prochaine du plan de sécurité dans la banlieue sud. L’État est le bienvenu dans la banlieue sud, mais la sécurité de la résistance est intouchable, affirment des sources du 8 Mars, citées par l’agence al-Markaziya.
Si la stabilité au Liban est à la table des négociations irano-américaines, l’aboutissement de celles-ci ne pourra pas se traduire par un déblocage institutionnel sans « un déclic libanais en parallèle », estime Farès Souhaid. Il se peut que ce déclic soit provoqué par une nouvelle bataille au printemps à la frontière orientale entre l’armée et les jihadistes, « que d’aucuns annoncent d’ores et déjà », sinon il pourrait prendre la forme d’une « rupture Aoun-Geagea », qui préluderait à une entente sur un candidat consensuel, souligne-t-il.
Le courant du Futur aurait déjà franchi un pas dans ce sens, « en rejetant définitivement l’option Michel Aoun », assurent des milieux de cette formation à L’Orient-Le Jour. Lors du dernier round de dialogue avec le Hezbollah, « nous avons clairement affiché notre décision de soutenir un candidat consensuel, ce à quoi nos interlocuteurs nous ont répondu en affirmant que le général Aoun était, selon eux, consensuel », révèlent ces sources.