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Le « pacte national » de Berry, ou la manipulation des partis chrétiens

 

Sandra NOUJEIM

Après avoir annoncé qu’il renonçait temporairement à la législation de nécessité au profit de l’examen en commissions parlementaires des dix-sept projets de loi électorale existants, le président de la Chambre, Nabih Berry, n’a pas tardé à fixer à mardi prochain la date de la première réunion de ces commissions. Dans un communiqué publié hier, il a énuméré les commissions appelées à se réunir : les Finances et le Budget, l’Administration et la Justice, les Affaires étrangères et les Émigrés, la Défense nationale et l’Intérieur, l’Information et les Télécommunications. Le vice-président de la Chambre, Farid Makari, a précisé pour sa part qu’il a été chargé par M. Berry de présider les réunions des commissions.

La démarche de M. Berry prend ainsi forme. Résolu à « favoriser le pacte national » sur toute autre considération, et à prendre en compte la demande des parties chrétiennes (les partis politiques et les indépendants) d’élaborer une nouvelle loi électorale préalablement à la relance éventuelle du législatif (que le parti Kataëb est le seul à refuser dans l’absolu), il pourrait faire d’une pierre deux coups.
D’abord, révéler l’attitude récalcitrante de certaines parties, y compris chrétiennes, à abroger la loi de 1960. Et ensuite, enraciner plus solidement dans l’exercice politique sa conception du pacte national.

Relayant la détermination exprimée par le président de la Chambre hier à aboutir à une entente sur une loi électorale, M. Makari s’est dit optimiste. « Il existe des points de convergence entre la plupart des blocs parlementaires sur lesquels on peut bâtir », a-t-il souligné à l’agence al-Markaziya. Et d’ajouter : « Si la majorité des forces politiques souhaitent approuver une loi électorale, elles doivent déployer tous leurs efforts à cette fin, dans les limites du raisonnable et non de l’imaginaire. Les actes se font d’abord par les intentions. »

Bien sûr, comme le concède d’ailleurs le camp berryiste, il est improbable que ces réunions aboutissent à un résultat avant la fin de la session parlementaire ordinaire le 31 mai prochain. Surtout que la commission parlementaire restreinte qui avait été chargée d’élaborer un projet commun en quatre mois n’a pu aboutir à « un résultat, mais seulement un compte-rendu », selon les termes de M. Makari dans un entretien accordé mardi au quotidien an-Nahar. Cela encore est tout à l’avantage du président de la Chambre : en se privant de tout espoir de relancer le législatif avant la fin de la session ordinaire, il aurait fait preuve d’une certaine patience à l’égard du chef du bloc du Changement et de la Réforme, le député Michel Aoun, qui continue de contester la légitimité du Parlement actuel.

Il aurait surtout fait un usage opportun du « pacte national », selon sa définition de ce pacte.
Depuis que s’était posée en 2007 la question de « la conformité du gouvernement Siniora au pacte national » jusqu’à la formation du cabinet Mikati en 2011, en passant par la consécration du tiers de blocage comme condition de formation du gouvernement, M. Berry n’a invoqué le « pacte national » que pour défendre une participation chiite active/prédominante au pouvoir, circonscrite de surcroît au tandem Amal-Hezbollah.

« Berry a inventé l’idée du pacte national »
Lorsqu’il a été question de relancer le législatif (sous les appellations alternatives de « législation de nécessité » ou « législation nécessaire »), l’opposition chrétienne s’est renforcée, en partie à cause du nouveau tandem Courant patriotique libre (CPL)-Forces libanaises, qui s’érige en nouveau front chrétien. À cet égard, des milieux politiques rapportent que le Hezbollah aurait tenu à ménager Michel Aoun sur la question du législatif, par souci d’équilibrer le blocage qu’il continue de mener sur la présidentielle, au détriment de son propre candidat. Un souci qui aurait été renforcé par la nouvelle solidarité interchrétienne. Le bloc du Hezbollah qui s’est réuni hier à Haret Hreik sous la présidence du député Mohammad Raad a publié un communiqué dans lequel il a estimé qu’il « est temps d’approuver une loi électorale juste et efficace garante de la parité et du vivre-ensemble ».

Mais il y a aussi d’autres acteurs qui auraient contré la relance du législatif : les voix chrétiennes des Kataëb et des indépendants, ainsi que l’engagement du chef du courant du Futur, Saad Hariri, après la séance législative orpheline de novembre 2015, à ne plus prendre part à d’autres séances tant qu’une nouvelle loi électorale ne sera pas approuvée, adhérant ainsi aux demandes des partis chrétiens (ce qu’a démenti le président de la Chambre, mais qu’a confirmé M. Makari).

L’option de faire fi du pacte national dans ce contexte aurait risqué de désavouer le président de la Chambre, qui se veut garant de ce dernier. « Le président Berry est celui qui a inventé l’idée du pacte national. Celle-ci ne lui a pas été imposée », est allé jusqu’à affirmer le ministre Ali Hassan Khalil dans un entretien publié hier dans le quotidien al-Joumhouriya. Il répondait ainsi au CPL qui se targue d’avoir contraint le président de la Chambre à renoncer à la convocation d’une séance législative ordinaire.

Hier, le général Michel Aoun est revenu à la charge, en dénonçant à la télévision un partenariat bafoué que les chrétiens tenteraient de rétablir. « Si le partenariat et l’équilibre au pouvoir ne sont pas rétablis, le Liban sera en danger, parce que les anomalies ne sont pas vouées à durer », a-t-il souligné.
Ce que les partis chrétiens omettent toutefois de voir, c’est qu’en quantifiant le partenariat – par des sièges qui vont jusqu’à la septième catégorie, ou par des positions qui conduisent au blocage institutionnel –, ils s’alignent sur l’esprit même, sectaire par excellence, du « pacte national » véhiculé par M. Berry.

D’ailleurs, en filigrane des articles qui décrivent les tensions Aoun-Berry, c’est le souci du second de servir le « pacte national » qui est décrit. Calquant le modèle communautaire du Hezbollah, le « front chrétien » mène une bataille perdante pour la démocratie – et perdante en politique.