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    Le principe d’incertitude

 

Dans le concert des analyses et commentaires portant sur l’accord nucléaire conclu entre l’Iran et les grandes puissances, plusieurs interrogations fondamentales méritent d’être soulevées afin de pouvoir cerner les retombées géopolitiques à long terme de cette nouvelle phase dans laquelle s’est engagé l’ensemble de la région.

L’attitude de « laisser faire, laisser aller » adoptée par l’administration Obama face au déferlement de violence démentielle qui sévit en Syrie et dans plusieurs pays de la région incite d’abord à se demander si le Moyen-Orient constitue toujours un intérêt vital pour Washington. Certes, la sécurité d’Israël demeure toujours pour les États-Unis une ligne rouge. Mais la pérennité de l’État hébreu est-elle incompatible avec le chaos généralisé qui frappe la région et qui semble de jour en jour gagner du terrain en menaçant des pays arabes jusque-là épargnés ? Cette question en entraine une autre : qui sont les véritables commanditaires et parrains de « l’État islamique », et quels sont les liens – et le passé – d’Abou Bakr el-Bagdadi? Force est de relever dans ce cadre que le Moyen-Orient n’a jamais été aussi près de l’éclatement et, plus particulièrement, le peuple kurde n’a jamais été aussi proche de l’édification de son État indépendant – un projet soutenu par Israël.

Ces pistes de réflexion nous amènent au vif du sujet : les retombées à long terme de l’accord conclu à Vienne entre Téhéran et le groupe des 5+1. À l’évidence, l’enjeu dépasse le volet nucléaire et porte aussi sur le rôle de l’Iran au cours de la prochaine étape de l’histoire du Moyen-Orient. Certes, il ne faut pas s’attendre à une rapide lune de miel entre la République islamique et les États-Unis. Le dernier discours de l’ayatollah Khamenei – qui a souligné qu’il continuera à dénoncer « l’arrogance » US – est clair sur ce plan. Il reste qu’un nouveau processus, long et complexe, a été bel et bien enclenché à Vienne. Si, et seulement si, l’accord est réellement respecté, des liens politiques et, surtout, économiques et commerciaux seront progressivement – et sans doute rapidement – tissés entre les deux parties. Cela implique que graduellement, l’Iran redeviendra, à plus ou moins longue (ou moyenne) échéance, un État politiquement « respectable » et « fréquentable ». Comme corollaire, le régime des mollahs ne pourra plus continuer à jouer un rôle de trublion et de force régionale expansionniste et déstabilisatrice. À l’échelle libanaise, cela se traduit par le fait que le Hezbollah serait appelé à devenir un parti politique « normal », dépourvu de sa force de frappe milicienne.

Une question fondamentale se pose toutefois sur ce plan : le courant radical en Iran, en l’occurrence les pasdarans, a-t-il la volonté politique, ou les moyens, de remettre en cause ce processus rampant de normalisation avec les puissances occidentales ? Les pasdarans seraient-ils contraints d’adopter provisoirement, dans l’étape actuelle, un profil bas pour uniquement faciliter la levée des sanctions qui étouffent la population et l’État iraniens ? Une fois cet objectif atteint, auraient-ils la possibilité, si du moins ils en ont l’intention, de saborder l’option de coopération avec l’Occident pour relancer leur projet d’exportation de la révolution islamique ? À cet égard, l’exemple du processus de paix israélo-palestinien enclenché dans le sillage des accords d’Oslo pourrait être riche en leçons. Il aura suffi que le Premier ministre Yitzhak Rabin soit assassiné pour que le processus de paix – qui était bien engagé avec Rabin – soit stoppé net et remis durablement en question avec le retour au pouvoir du Likoud.

Une nouvelle donne stratégique, et non des moindres, a, certes, émergé dans la région avec l’accord de Vienne, preuve qu’en termes de relations internationales, rien n’est immuable et rien n’est irréversible, comme l’illustre d’ailleurs la réouverture, hier, des ambassades entre les États-Unis et Cuba, après plus d’un demi-siècle de guerre froide. Il reste que dans le cas de figure du M-O, une incertitude plane au stade actuel à l’horizon régional : existe-t-il des forces occultes qui ont d’autres desseins, expansionnistes et hégémoniques, susceptibles de saboter, un jour pas forcément lointain, le pari pris le 14 juillet, au forceps, dans la capitale autrichienne ?