IMLebanon

Le retour du balancier

Car la violence faite au Liban retombera sur toi.

Habacuc 2,17

Cette petite phrase du prophète Habacuc, tirée de la Bible, est d’une troublante actualité. L’histoire, par un retournement cynique de situation, peut souvent s’avérer cruelle. Les Libanais célèbrent aujourd’hui le dixième anniversaire du retrait des troupes de Damas du Liban alors que d’une manière concomitante à cet anniversaire, cette même armée syrienne, ou du moins celle restée fidèle à Bachar el-Assad, est contrainte de se retirer de certaines villes… syriennes, sous les coups d’un soulèvement qui cherche à mettre un terme à plus de quatre décennies de tyrannie sur les bords du Barada. Une tyrannie qui n’a pas épargné le pays du Cèdre, qui fut soumis pendant près de trente ans au diktat de l’implacable appareil sécuritaire du régime baassiste. Par ce même retournement cruel de l’histoire, les Libanais célèbrent le dixième anniversaire du départ des services de renseignements syriens, qui avaient phagocyté une large partie de la classe politique locale, alors que dix ans après ce retrait, jour pour jour, l’un des principaux symboles de cet appareil sécuritaire syrien, Rustom Ghazalé, a payé de sa vie une querelle de clans au sein du régime qu’il a ardemment défendu au point de soumettre les Libanais à toutes sortes d’exactions meurtrières et mafieuses.
Il faut s’embarquer dans une machine à remonter le temps et se replonger dans l’atmosphère politique des années 90 et du début des années 2000 pour réaliser l’ampleur de l’entreprise hégémonique initiée par les hommes de Bachar el-Assad afin de saper les valeurs, les spécificités et les équilibres de l’entité libanaise. En un mot, sa raison d’être… C’est à un véritable Anschluss que le Liban était en effet implacablement soumis. Bénéficiant de vastes complicités locales, le pouvoir syrien avait réussi à verrouiller tous les rouages économiques, politiques et militaires du pays, ou du moins la plupart d’entre eux. À l’exception d’une poignée d’irréductibles, les dirigeants et responsables officiels étaient tous atteints du virus de la soumission. Le plus grave était que le tuteur syrien s’employait à distiller d’une manière pernicieuse dans l’esprit des Libanais que le suivisme à son égard était la norme et que le rejet du diktat constituait une inacceptable fronde.
Les pratiques du pouvoir sous l’occupation syrienne avaient atteint un tel degré de soumission au fait accompli que c’est la physionomie sociopolitique du pays qui se trouvait très sérieusement remise en question. Mais c’était sans compter la conjonction de deux paramètres qui ont rectifié le cours de l’histoire : une conjoncture internationale favorable et la volonté inébranlable de larges pans de la société civile, emmenés par des leaders qui ont su relever le défi. La présence au pouvoir aux États-Unis et en France des présidents George W. Bush et Jacques Chirac a constitué, à n’en point douter, un facteur déterminant dans la fin de l’ère syrienne au Liban. Tout aussi fondamental aura été le rôle fondateur assumé au fil des ans, patiemment mais sûrement, par le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, ainsi que par Rafic Hariri, Walid Joumblatt, les partis et courants de l’opposition chrétienne de l’époque, ainsi que les personnalités regroupées dans le cadre du Rassemblement de Kornet Chehwane, du Forum démocratique et de la Gauche démocratique, sans compter, à l’évidence, le soulèvement populaire du 14 mars 2005 qui fut à la base de la révolution du Cèdre.
Avec persévérance, vision d’avenir et fermeté dans l’attachement aux constantes nationales, l’entreprise de rejet de l’occupation et de la tutelle syriennes a ainsi été minutieusement mise sur les rails. C’est parce que du haut de son arrogance Bachar el-Assad n’a pas su comprendre qu’il ne pouvait pas bousculer le cours de l’histoire qu’il a perdu, cinq ans à peine après son arrivée au pouvoir, la principale carte stratégique héritée de son père. Et c’est ce même manque de clairvoyance qui l’a amené, cinq ans après son retrait humiliant du Liban, à provoquer la destruction politique et matérielle de la Syrie. Bilan fort impressionnant pour un chef d’État…