23 novembre 2011. Sous les cascades d’or du palais Yamamah à Riyad, Ali Abdallah Saleh signe un accord mettant fin à 33 ans de pouvoir. Après avoir résisté dix mois aux vents du printemps arabe qui se sont mis à balayer le Yémen, Saleh se retire. En souriant.
La raison de ce sourire pour le moins incongru ? Sans doute le satisfecit d’avoir, bien mieux que ses homologues dans la région, senti le sens du vent. Saleh a réussi à échapper au sort de Moubarak, Ben Ali et Kadhafi, à savoir la prison, l’exil et la mort.
Son retrait du pouvoir, il l’a négocié contre une immunité à vie. Avec, en bonus, le droit de rester au pays, de s’installer dans une villa digne d’un président et d’être chef du parti qui est également celui de son successeur, Abd Rabbo Mansour Hadi.
Depuis, Saleh ne s’est jamais vraiment départi du costume présidentiel, multipliant les déplacements et discours à travers le pays, et entretenant ses contacts, payés au prix fort lors de son règne, avec les grands leaders tribaux.
Aujourd’hui, l’ex-président est de nouveau sur le devant de la scène : sans l’aide des militaires et tribus qui lui sont restés fidèles, il aurait été difficile pour les houthis de prendre Sanaa, de pousser jusqu’à Aden et de contraindre le président Hadi à fuir en Égypte.
Et peu importe que cette alliance tactique prenne l’exact contre-pied des répressions menées par son armée contre la rébellion chiite entre 2004 et 2010. Ni que son aval ait permis au voisin saoudien de bombarder ces mêmes houthis le long de la frontière en 2009.
Saleh n’en est pas à sa première partie de billard à trois bandes : ne s’enorgueillissait-il pas de « danser avec les serpents » en évoquant sa gestion présidentielle ?
Lorsqu’il était aux affaires, il avait, exemple parmi tant d’autres, donné son feu vert aux frappes de drones américains contre les bases d’el-Qaëda au Yémen et reçu de Washington armes et fonds, tout en cédant le contrôle d’une province à l’organisation terroriste.
Aujourd’hui, il semble que l’ancien chef d’État ait de nouveau des fourmis dans les jambes.
Mais l’affaire s’annonce compliquée. Saleh l’aurait-il compris ? Le 28 mars dernier, il est apparu quelque peu nerveux en appelant, lors d’un discours, à un cessez-le-feu entre la coalition arabe, menée par l’Arabie saoudite, et les rebelles. Dans ce discours, il a aussi assuré, une fois n’est pas coutume, que ni lui ni un membre de sa famille ne chercheraient à prendre le pouvoir.
Quelques semaines plus tôt, à Taez, l’autocrate avait pourtant retrouvé des accents présidentiels, en mettant en garde ceux qui seraient tentés d’envahir le Yémen. Dans le même temps, à Sanaa, le Congrès populaire général, le parti qu’il dirige, organisait des manifestations soutenant une candidature d’Ahmad, son fils, à une présidentielle anticipée.
Reste que s’il veut réussir son retour, Saleh devra une fois encore faire montre de ses talents de stratège pour s’ouvrir un chemin entre une Arabie belliqueuse, des houthis avec qui l’alliance n’est que de circonstance et el-Qaëda qui a mis sa tête à prix.
Partie difficile qu’il devra jouer sur un fil. Mais le charmeur de serpents a toujours eu plus d’un tour dans son sac.