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Le rideau de douche du palais de Baabda

Dans Psycho de Hitchcock, c’est le vol des 40 000 dollars par Janet Leigh dans les caisses de son patron qui lance le film. Certes. Sauf que, quelques minutes à peine plus tard, n’importe quel spectateur oublie totalement cet argent et ne se concentre plus que sur Norman Bates et sa maman. Ces dollars sont le Mac Guffin du film. Dans les œuvres d’Hitchcock, le Mac Guffin est un élément de l’histoire qui sert à les initialiser, voire à les justifier, mais qui, au cours du film, se révèle carrément anecdotique, presque inutile.
La visite-surprise de Samir Geagea chez Michel Aoun est un pur Mac Guffin. Cet élément d’intrigue, ce tressaillement très Comtesse de Ségur au cœur d’une dramaturgie politico-politicienne anorexique et niaise, est par essence, naturellement, l’amorce, l’initialisation d’un quelque chose dont tout le monde ignore pour l’instant et la nature et le développement. La scène aurait pu avoir une sacrée gueule, surtout que ces deux hommes qu’absolument tout oppose, mais qui crevaient, tous deux, d’être réduits à de simples spectateurs regardant passer, hébétés, le train de l’histoire dans un Proche-Orient plus bipolaire que jamais, ont visiblement compris qu’on est rarement aussi bien servi que par soi-même ; que, pour exister dans cette danse de mort sunnito-chiite hystérique et madmaxienne, il fallait créer l’événement. Sauf que, bien sûr, le chef du Courant patriotique libre et le patron des Forces libanaises n’auront su offrir aux Libanais qu’un ridicule pétard mouillé. Qu’une déclaration d’intentions. Encore une. Stérile, jusqu’à sa moindre virgule.
Se seraient-ils entendus sur un candidat commun à la présidentielle que ces deux hommes, de petits vicomtes de plus en plus isolés, de plus en plus lost in translation, seraient passés à rois faiseurs de régent. Auraient-ils lâché un nom que leur pavane paonne devant les caméras et les appareils photo aurait eu un sens inouï, que leur poids et leur masse politique auraient décuplé, que leurs contempteurs respectifs les auraient regardés autrement. L’auraient-ils fait, en accord ou pas avec leurs alliés respectifs, que leur rencontre, de Mac Guffin oubliable à souhait, aurait constitué à elle seule un chapitre entier de l’histoire libanaise. Sans compter que cela aurait été un test idéal pour jauger la crédibilité de Samir Geagea, qui a répété et répété combien il était prêt à se désister pour un troisième homme. Mais Michel Aoun, habitué depuis 1988 aux replis (à la Résidence des Pins, à l’église de Mar Mikhaël, au boycottage systémique…), ne laisse le choix, comme d’habitude et jusqu’à preuve du contraire, qu’entre lui et la béance/le chaos.
N’est pas et ne sera jamais Raymond Eddé qui veut. L’histoire est gueuse. Et cruelle. Cet homme, ce Amid dont on célébrait il y a quelques jours la 15e commémoration du décès, est né horriblement trop tôt. À ce jour, la communauté chrétienne du Liban n’aura donné à son pays que deux, trois au grand maximum, hommes d’État. Raymond Eddé est parmi eux. Le seul à ne pas avoir été président de la République. À ne pas avoir occupé le palais de Baabda. Il n’y a pas de hasard.