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Le salaire de la fatalité

 

Jeter des miettes de pain aux pigeons qui se posent sur votre balcon (ou aux mouettes, si vous résidez en bord de mer), c’est vous attirer pour longtemps une envahissante et salissante cohorte de visiteurs ailés. Fort de cet axiome, le gouverneur de Flandre occidentale appelle donc la population du port de Zeebrugge à ne pas nourrir les réfugiés affluant du bouchon de Calais et désireux de gagner l’Angleterre, comme elle avait entrepris de le faire le week-end dernier.

Pour ou contre ? Comme on pouvait s’y attendre, cette initiative a donné lieu à une vive polémique, et Bruxelles en est à exiger une répartition équitable des réfugiés entre les divers États membres de l’Union européenne. Mais le dilemme que pose aux nations le phénomène des migrants n’est pas près d’être tranché pour autant : dilemme de nature politique, socio-économique mais surtout morale. Les affres du choix, le Liban a le triste privilège d’en être exempté. Le flot de réfugiés, notre pays divisé, désorganisé, ouvert à tous les vents, n’a jamais eu en effet la possibilité de l’endiguer. Appauvri par les crises politiques à répétition, il n’a pas non plus les moyens d’offrir à ces malheureux un hébergement convenable. Dès lors, c’est sur l’assistance internationale, et elle seule, qu’il doit compter pour gérer cet angoissant dossier. Réunie à Londres, la conférence de soutien à la Syrie et aux pays d’accueil a consenti un bel effort, récoltant plus de dix milliards de dollars appelés à être versés en deux étapes, d’ici à 2020.

Au Premier ministre Tammam Salam, on reconnaîtra certes le mérite d’avoir fort bien plaidé la cause d’un Liban ployant sous une masse de réfugiés équivalant au tiers de sa population d’origine. On aura particulièrement apprécié cet avertissement qu’il a lancé aux Occidentaux et qui revêtait presque allure d’ultimatum : un Liban abandonné à lui-même, c’est des vagues de desperados qui le déserteront pour aller tenter leur chance en Europe. Mais on ne méconnaîtra pas pour autant le fatal écueil que représente la création d’emplois pour les réfugiés, exigée par les donateurs en échange de leurs dollars. Non seulement en effet de telles opportunités d’emploi auraient pour résultat de fixer sur place nombre de ces réfugiés ; mais ce serait aussi (c’est même déjà le cas, avec le marché du travail au noir) ôter le pain de la bouche des Libanais et les pousser en nombres sans cesse croissants à l’exode. C’est cette terrible réalité que doivent absolument appréhender nos généreux donateurs.

Terre d’asile : ce qui fut longtemps le titre de noblesse de notre pays menace désormais de tourner à la malédiction. Je suis payé pour avoir peur, s’écrie, dans un film culte de Clouzot titré fort à propos Le Salaire de la peur, le desperado Charles Vanel pilotant, sur une route crevassée, un camion chargé de nitroglycérine. C’est de bombes à retardement humaines qu’est surchargé, quant à lui, le Liban. Et pour salaire de sa détresse, de sa déveine, de la fatalité qui le poursuit, tous les milliards du monde ne seraient jamais assez.