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Le soir de l’attentat, environ 200 personnes regardaient le Mondial à quelques mètres de l’explosion

Le soir de l’attentat, environ 200 personnes regardaient le Mondial à quelques mètres de l’explosion

À l’entrée de la banlieue sud de Beyrouth, avenue Hadi Nasrallah, scène de désolation au lendemain de l’attentat qui a coûté la vie à l’inspecteur de la Sûreté générale, Abdel Karim Hodroj.

Anne-Marie El-HAGE

« Notre sang sera le feu qui brûlera vos corps. » Au balcon d’un immeuble donnant sur l’avenue Hadi Nasrallah, atteint par l’attentat terroriste de la veille, cette phrase trône entre les portraits géants des deux chefs du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et du mouvement Amal, Nabih Berry. L’avertissement est clair à tous ceux qui seraient tentés de toucher de nouveau à un cheveu des habitants de la banlieue sud de Beyrouth. Mais au fond d’eux-mêmes, les commerçants et habitués de ce quartier voisin du rond-point Tayyouné sont encore sonnés. Ils n’en finissent pas de regarder et de commenter le spectacle de désolation qui les entoure, à savoir la vingtaine de voitures calcinées, les quelques façades d’immeubles endommagées, les devantures des magasins défoncées, les enseignes détruites et des vitres brisées par milliers…
Ici ou là, ils s’affairent, sous l’œil curieux des badauds venus immortaliser la scène. Ils évaluent les dégâts. Ils balaient les vitres brisées. Ils jettent ce qu’ils estiment irrécupérable. Ils tournent autour des voitures, espérant voir enfin débarquer un représentant du Haut-Comité de secours.

L’hommage au héros
Mais c’est avec fierté qu’ils saluent l’héroïsme du jeune inspecteur de la Sûreté générale, Abdel Karim Fadl Hodroj, habitant du quartier, qui « s’est sacrifié pour sauver des vies ». On raconte qu’il a interpellé le kamikaze qui roulait à contresens et qui a arrêté sa voiture au milieu de la rue. « Il l’a retenu le temps que son collègue informe l’armée libanaise, postée une centaine de mètres plus loin », explique un habitant. « C’est alors que le kamikaze s’est fait exploser, après être sorti de sa voiture, tuant net l’agent et blessant son camarade. Il avait prétexté que son véhicule était en panne », renchérit un commerçant. Dans la rue, on montre du doigt et avec respect la façade latérale d’un immeuble, largement tachée du sang du jeune héros de 20 ans.
Dégagée et nettoyée, la route a été rouverte à la circulation. Le service d’ordre du Hezbollah est omniprésent. L’odeur de brûlé monte aux narines. Les trottoirs, eux, sont jonchés de débris, envahis de carcasses de voitures calcinées.
À quelques dizaines de mètres du lieu de l’attentat, le café-trottoir Abou Assaf est plein à craquer. Sirotant leur café turc et tirant sur leurs cigarettes, deux clients remercient Dieu d’être indemnes. Adel et Hussein Chehabeddine racontent l’explosion, la scène de panique, l’incendie qui a ravagé les lieux, l’intervention rapide de l’armée, de la Défense civile, du Hezbollah. « Nous regardions le Mondial, dans ce café aussi agréable qu’abordable, très prisé dans la région. J’ai été éjecté plusieurs mètres plus loin, raconte l’un d’eux, montrant quelques écorchures. J’ai mis du temps à retrouver mes esprits et à comprendre ce qui s’est passé. » « J’ai d’abord cru à un feu d’artifice », rétorque le second.

Le pire évité
Immanquablement, le pire a été évité. Au moment de l’attentat, peu avant minuit dans la nuit de lundi, la terrasse-trottoir de ce café populaire était pleine à craquer. Deux cents amateurs de football suivaient le match Brésil-Cameroun de la Coupe du monde. « Par miracle, il n’y a pas eu de blessés. Seul un homme s’est senti mal », assure le fils du patron de l’échoppe, Mohammad Assaf, qui indique que sa clientèle est mixte et de toutes les régions beyrouthines.
Attablés devant un narghilé, deux autres habitués condamnent « cet acte terroriste ». Comme la majorité de la clientèle, ils sont venus exprimer leur solidarité au patron de ce lieu qu’ils fréquentent régulièrement. « Ils veulent semer la discorde entre sunnites et chiites, mais nous sommes déterminés à ne pas nous laisser entraîner dans la discorde. Nous voulons vivre », affirme Ali Ammar. Sans la moindre hésitation, un jeune habitant se déclare en faveur des armes du Hezbollah : « Avons-nous d’autre choix que de prendre les armes contre des terroristes sans foi ni loi ? » demande-t-il.
Malgré le calme apparent, la peur est palpable. Le ras-le-bol aussi. Les commerçants sont inquiets pour l’avenir. « C’était prévisible. Nous sommes une cible de choix. Nous sommes entourés, d’une part, d’un barrage de l’armée et, d’autre part, d’un café-trottoir où les jeunes se regroupent », ne peut s’empêcher de dire la caissière d’une boutique de chocolat. « Cet attentat va encore plomber les ventes », assure-t-elle. Non loin de là, le propriétaire d’une agence de location de voitures montre du doigt trois carcasses de voitures calcinées. « Voilà ce qu’il reste de mes voitures, déplore-t-il. Le Haut-Comité de secours me dédommagera-t-il ? »
Chacun finit par vaquer à ses occupations, avec résignation. Mais avant de revivre, le quartier rendra un dernier hommage à son jeune héros qui a perdu la vie.