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Le système…Quel système ?

Les gens ont mille fois raison d’en avoir assez. Il y a bien aujourd’hui dans ce pays mille raisons d’en avoir assez… Y compris, quelquefois, de ceux qui en ont assez !

Manifester, c’est très bien, cela donne le sentiment d’exister, et par les temps qui courent, à l’ombre d’un État tétanisé par ses contradictions, ses faiblesses, ses incertitudes, ses poids, ses carences, toute sensation d’existence, de mouvement, est la bienvenue.

Que l’on s’en aille manifester donc, même si l’on ne sait pas vraiment contre qui et quoi, même si le « tous-pourris » dominant n’aide pas à fixer les responsabilités, et même si le sectarisme est de la partie, sous la forme d’une opposition artificielle mais néanmoins virulente entre deux concepts aussi confus l’un que l’autre, celui de société civile et celui de classe politique.

Manifestons, même si ça part dans tous les sens… et si, comme dimanche dernier, il y en a qui voudront renverser le gouvernement et d’autres faire le pied de nez au Parlement ; que les troisièmes réclameront un président et les quatrièmes une décharge quelque part ; que les cinquièmes se contenteront de l’argent des municipalités et les sixièmes des droits des femmes ; que les septièmes s’acharneront à vouloir abattre la corruption et les huitièmes à en finir avec la loi sur les loyers ; sans parler des neuvièmes qui voudraient gentiment voir le pouvoir aller aux militaires (« Ce sera un Alcazar ou bien un Tapioca pour vous, Madame? ») et, enfin, ceux qui ne veulent rien du tout… que casser !

Hétéroclite, la manif ? Et alors ? Ça bouge, c’est l’essentiel ! Tout ira bien, à une condition, une seule : qu’on laisse le système tranquille! Il est innocent, lui. Il n’a rien fait. Cela fait longtemps qu’on l’exclut, le confine au-dehors. D’ailleurs, que lui reproche-t-on, au juste ? Ou plutôt, que sait-on de lui ?

Sait-on par exemple que le système ne dit pas que les gouvernements au Liban doivent être formés comme s’il s’agissait de conseils d’administration, que le donnant-donnant n’est pas la règle au pouvoir, que le ministre-opposant est un concept qui ne devrait pas exister ?

Sait-on que le système ne donne à personne le droit de bloquer une élection, qu’il n’autorise pas les supercheries et les turpitudes, comme par exemple celles qui consistent à prétendre que le quorum requis pour les séances de la Chambre destinées à élire un président est des deux tiers ?

Sait-on que le système ne permet pas de bloquer l’action législative, qu’il prévoit la sanction politique de l’exécutif par les députés et celle des députés par les électeurs ?

Sait-on que le système n’autorise guère les milices privées, sous quelque appellation que ce soit, et ne permet à personne de déclencher des guerres ou d’aller prêter main-forte à des régimes voisins ?

Sait-on que le système ne dit pas que l’épée de la justice doit s’abattre sur les uns et pas sur les autres ?

Sait-on que le système ne confine pas la parité islamo-chrétienne à un simple partage des morceaux du gâteau ? Qu’il n’autorise pas les chefs de file au sein de chacune des communautés à confisquer le rôle des institutions ?

Sait-on que le système ne dit pas que les fils, et encore moins les gendres, doivent nécessairement prendre la relève des pères et des beaux-pères, ni que les partis politiques sont habilités à étouffer la démocratie en leur sein, comme cela vient de se passer avec une formation qui se prétend réformatrice ?

Sait-on que le système en question est celui qui a permis, il y a vingt-cinq ans, de mettre un terme à la plus absurde des guerres, et que sans lui, même s’il n’est jusqu’ici qu’une référence théorique, le Liban se retrouverait démuni en plein chaos régional ?

Sait-on enfin qu’on ne change pas un système, aussi imparfait soit-il, avant de l’avoir appliqué ?

Si l’on souhaite que l’État soit en mesure, un jour, de bien gérer nos poubelles, entre autres menus services, commençons par manifester… pour le système !