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Le test français

 

(Gabriel Garcia Marquez)

Glaçante, et pas seulement à cause du froid hivernal, devait être l’atmosphère hier à Auschwitz, où survivants et chefs politiques de divers pays commémoraient la libération, il y a 70 ans, par l’armée soviétique, de ce camp de la mort dont le seul nom continue, à ce jour, de susciter l’effroi.
De tous les témoignages qui ont pu être apportés sur le cauchemar d’Auschwitz, l’un des plus glaçants, on y revient, est paradoxalement celui du contremaître de cette usine à tuer en masse, où périrent plus d’un million de juifs. Lors de sa capture, cet officier SS ne manifesta aucun remords, arguant qu’en consciencieux fonctionnaire, et sans autre état d’âme, il n’avait fait qu’exécuter des ordres. Le monstre confia pourtant qu’il avait un regret, un seul : le dévastateur effet-boomerang que le programme d’extermination avait eu sur l’Allemagne nazie. Si pour lui l’horreur pouvait être regrettable, c’est seulement parce qu’elle était, aussi, surtout, une colossale erreur…
Que d’erreurs et d’iniquités cependant aura engendré, à son tour, cette atrocité sans bornes que fut l’Holocauste : le moindre de ces dommages collatéraux, que l’on n’a pas encore fini de répertorier, n’étant pas l’injustice faite aux Palestiniens sous couvert de réparer une première injustice. La montée fulgurante des fanatismes religieux, mais aussi des farouches nationalismes en Europe, n’a guère embelli le tableau hélas. Une réalité insupportable, disait hier François Hollande, de la montée des actes antisémites, en France. Ce pays est votre patrie, votre place est ici, assurait-il en outre aux juifs de France, invités avec insistance par Benjamin Netanyahu à se transporter en Israël. Last but not least, le chef de l’État français promettait, dans la foulée, un renforcement des sanctions légales contre le racisme et l’antisémitisme.
Impressionnant certes est, sur ce plan, l’arsenal juridique de la France. De loi Pleven en loi Gayssot, sans oublier les amendements ultérieurs, les peines frappant les contrevenants n’ont cessé de s’alourdir : l’interdit en venant même à englober les stupides négations des crimes commis contre l’humanité, y compris le génocide des Arméniens et les cruels sévices de l’esclavage ou même de la colonisation. Dès lors, ce n’est pas tant de muscle que de développement et d’innovation, d’audace dans l’imagination, qu’a besoin en réalité cette législation.
Après Israël et les États-Unis, c’est la France qui abrite la première communauté juive d’Europe et troisième dans le monde après Israël et les États-Unis. Mais elle recèle tout aussi bien la plus grande communauté musulmane du Vieux Continent. C’est dire que pour l’Union européenne, la France constitue un véritable pays-test. Les derniers et sanglants attentats de Paris ont mis en relief, entre autres défis, l’impérieuse nécessité d’un surcroît d’efforts de l’Hexagone sur les dossiers de l’intégration et des inégalités sociales. C’est bien en France – et cela sous le regard anxieux de ses partenaires – que se fera, ou ne se fera pas, l’acrobatique synthèse entre culte républicain des sacro-saintes libertés publiques et respect des sensibilités religieuses et culturelles. Entre laïcité bien comprise et irresponsable provocation. Entre le trop célèbre désormais droit d’offense et celui, non moins réel et présent dans la France d’aujourd’hui, de ressentir l’affront.