Dans la série d’entretiens que, retour au Liban, le président du courant du Futur, Saad Hariri, entreprend figurait hier l’entretien avec le président de la Chambre, Nabih Berry. La rencontre a été entourée d’un black-out total, et c’est sans doute à partir d’aujourd’hui qu’il en filtrera quelques éléments. Une chose est sûre, Nabih Berry est l’un des opposants les plus décidés à l’élection de Michel Aoun. À cette hostilité, une raison essentielle : le fait que le chef du CPL ne reconnaît pas la légitimité de la Chambre, à la prorogation du mandat de laquelle il était fermement opposé. Il y a également à cette hostilité des raisons d’affinités personnelles, croient savoir certains.
Quoi qu’il en soit, on estimait hier de sources concordantes que, malgré le côté sensationnel de la rencontre entre Saad Hariri et Sleiman Frangié et les spéculations qui l’ont entourée, le train n’est pas encore sorti de la gare, et que s’il doit y avoir un progrès sur le dossier de la présidentielle, il ne sera pas immédiat. Saad Hariri, ajoute-t-on, est encore loin d’avoir tranché, et sa campagne d’entretiens a pour objectif de faire baisser une tension qui devenait franchement malsaine pour le moral de la population.
Du reste, la lenteur des progrès attendus a été anticipée par Nabih Berry qui a fixé au 31 octobre la date de la prochaine séance parlementaire consacrée à l’élection d’un président, alors qu’auparavant, il limitait généralement les écarts entre une séance et l’autre à 3 semaines.
Ce délai devrait permettre, si l’accord se fait sur le nom, ce qui demeure problématique, de débattre, notamment, du « package deal » cher à M. Berry, qui pense que la présidence de la République ne devrait pas venir seule, mais faire l’objet d’un accord global comprenant également la composition du gouvernement et l’accord sur une loi électorale, d’autant que l’échéance législative prochaine, si elle doit avoir lien, devrait être lancée dès la nouvelle année.
Par ailleurs, M. Hariri n’a fait, ces derniers jours, qu’entamer ses rencontres, qui doivent encore comprendre celles des deux ténors maronites restants, Michel Aoun et Samir Geagea, ainsi que celle du patriarche Raï. Son carnet de rendez-vous prévoit également des rencontres avec les chrétiens indépendants et le rassemblement de Michel Sleiman.
Cette tournée de la dernière chance, comme certains la qualifient, se fait dans un contexte régional de plus en plus tendu, avec un retour massif à l’option militaire en Syrie, et un malentendu grandissant entre les États-Unis et la Russie à ce sujet. Par ailleurs, les États-Unis sont entrés dans la ligne droite conduisant à leur élection présidentielle et sont loin de pouvoir peser d’un quelconque poids, en ce moment, sur l’issue présidentielle.
L’élection de Michel Aoun est d’autant moins acquise que Sleiman Frangié, confronté à l’indécision de Saad Hariri, ou à sa sincère volonté de sortir les institutions de l’ornière, n’a pas baissé les bras, et qu’il a décidé de se battre jusqu’au bout pour ses chances. Ainsi, a-t-il rappelé, opportunément, que la politique du bord du gouffre suivie par Michel Aoun en 1988 n’a pas payé, et qu’elle ne payera pas plus aujourd’hui. Ainsi, même l’allié indéfectible qui affirmait, un jour, que Michel Aoun était son grand frère a fini par se cabrer contre les provocations de ce dernier.
Du concert des voix hostiles à l’élection du chef du CPL s’est détachée aussi, hier, celle de Nagib Mikati, qui a lâché : « Le discours adressé par Michel Aoun aux sunnites reste provocant. Je crains que son élection ne renforce l’extrémisme sunnite. »
C’est dans ce contexte politique explosif que le ministre de la Défense, Samir Mokbel, a signé hier le décret de reconduction de facto du mandat du commandant de l’armée, le général Jean Kahwagi, sous forme d’un renvoi de son départ à la retraite, une mesure qui a bien entendu été critiquée avec virulence. M. Mokbel s’apprête aussi à rappeler de son état de réserviste, aujourd’hui, le chef d’état-major, Walid Salmane, dont le mandat expire à minuit.