Décryptage
Le secrétaire général du Hezbollah avait à peine achevé son discours que les analystes du 14 Mars avaient déjà commencé à le décortiquer pour mesurer son appui au général Michel Aoun. Les messages et les idées lancés dans ce discours, l’un des plus importants de Hassan Nasrallah, ont été occultés pour mettre en avant de supposées « fuites de gaz » dans les tuyaux reliant le Hezbollah au CPL et à son chef. Pour accréditer cette thèse, les analystes du 14 Mars ont repris la fameuse phrase du sayyed sur le fait que le général Michel Aoun « est un passage obligé pour la présidence et pour le gouvernement ». Selon ces analystes, si le Hezbollah appuyait totalement le général Aoun, il aurait répété qu’il est son candidat à la présidence, comme l’avait fait cheikh Naïm Kassem. Dans ce contexte, l’expression « passage obligé » serait donc une régression.
Bien entendu, les autres éléments du discours dans son volet libanais n’ont pas été repris. Pourtant, le secrétaire général du Hezbollah a donné une vision précise du système politique libanais en appelant à un partenariat véritable entre toutes les communautés, indépendamment de leur importance numérique. Il a aussi affirmé qu’il n’y a plus au Liban de « communauté leader » et que toutes les communautés devraient désormais être à égalité, dans un partage équitable du pouvoir. Jamais auparavant le secrétaire général du Hezbollah n’avait été aussi clair dans son approche du régime libanais, critiquant ouvertement le système établi après l’accord de Taëf, qui avait pratiquement fait de la communauté sunnite le leader du pays, par le biais d’une sorte de confiscation du pouvoir, à travers les prérogatives extensibles du Premier ministre et les lois électorales successives qui ont toujours occulté les intérêts des chrétiens en tant que communauté, ainsi qu’à travers l’établissement d’un véritable système parallèle à travers le CDR, les différents conseils et caisses, dont le Haut Comité de secours, rattachés à la présidence du Conseil et plus influents que les ministères eux-mêmes, notamment les Travaux publics, les Affaires sociales et d’autres. Nasrallah a ainsi laissé entendre que cette période d’hégémonie d’une communauté sur le pouvoir et sur les autres est terminée et qu’il faut instaurer un véritable dialogue interne pour s’entendre sur un nouveau système plus équitable, sachant que, selon lui, chaque communauté a ses craintes et ses appréhensions et qu’il faudrait en tenir compte pour qu’elles soient toutes épanouies, dans le cadre d’une formule rassurante pour tout le monde.
À ce sujet, des milieux proches du Hezbollah rappellent qu’à travers le Premier ministre martyr Rafic Hariri, la communauté sunnite a dominé la vie politique et économique libanaise pendant la période de tutelle syrienne, alors que les composantes chrétiennes et le Hezbollah (que les Syriens refusaient d’inclure dans les gouvernements de l’après-Taëf) étaient pratiquement marginalisés. Les conflits entre le pouvoir syrien et le Premier ministre assassiné n’ont commencé qu’avec l’arrivée au pouvoir du président Émile Lahoud, mais ils n’opposaient pas Hariri aux Syriens, juste l’ancien Premier ministre et une partie du pouvoir syrien…
Dans son discours, sayyed Nasrallah a donc invité les différentes parties libanaises à un dialogue en profondeur pour aboutir à des solutions qui puissent tenir la route en étant le fruit d’un consensus interne privilégiant l’intérêt commun national, et non se limiter à un replâtrage qui aurait besoin pour être consolidé d’une tutelle extérieure. En même temps, il a clairement affirmé que le Hezbollah ne laissera seul aucun de ses alliés, surtout ceux qui se sont tenus à ses côtés pendant la guerre de juillet 2006. Tout en évoquant la possibilité pour le Hezbollah de descendre dans la rue aux côtés du CPL, Nasrallah a été très ferme en précisant que son parti ne laissera personne isoler ou défaire le général Aoun. Ce message s’adresse aussi bien aux adversaires du CPL qu’aux alliés au sein du 8 Mars, notamment le président de la Chambre Nabih Berry. En même temps, il a suggéré au général Aoun, sans le nommer directement, de demander à ses ministres de signer le décret pour l’ouverture d’une session parlementaire extraordinaire pour permettre à l’Assemblée de régler quelques problèmes qui touchent aux intérêts des Libanais. D’ailleurs, le général Aoun a immédiatement saisi la balle qui lui était ainsi lancée en déclarant le soir même dans un entretien à la chaîne al-Manar que des contacts sont établis dans ce sens et qu’il y a une possibilité d’ouvrir une session parlementaire extraordinaire.
Concernant le dossier présidentiel, Nasrallah a ouvert la porte au dialogue en disant que le général Aoun est le passage obligé pour la présidence. Il a ainsi rappelé qu’aucun président ne peut être élu sans l’aval du général Aoun. Mais comme celui-ci est candidat, il ne donnera pas son aval à un autre… Les milieux proches du Hezbollah ajoutent à ce sujet que l’appui à Aoun dans le dossier présidentiel n’est pas seulement une question morale. C’est aussi une question stratégique, le Hezbollah étant convaincu qu’à travers un président dit consensuel, le courant du Futur cherche à l’encercler. D’une part, il montre que l’allié chrétien du Hezbollah est trop faible pour être élu à la présidence et en même temps, il aura ainsi une grande influence sur le nouveau président et les ministres qui lui seront accordés. Les milieux proches du Hezbollah estiment donc que l’appui au général n’est pas une manœuvre ou une tactique. C’est une conviction et un intérêt. Le courant du Futur devrait donc, selon ces milieux, comprendre qu’il ne peut plus continuer à rejeter toutes les propositions et ne pas tenir compte des revendications des partenaires au sein de la nation.