LA SITUATION
Que s’est-il passé hier en Conseil des ministres ? Ce dont on est sûr, c’est que le gouvernement a chargé l’armée du « maintien de la sécurité » à l’intérieur de Ersal, c’est-à-dire d’y réprimer les activités des jihadistes qui s’y infiltrent ou sont déjà sur place du fait d’une présence massive de réfugiés syriens.
Ce que l’on sait aussi, mais par défaut, c’est que le Conseil des ministres a renouvelé sa confiance dans le commandement de l’armée pour tout ce qui concerne le « jurd » de Ersal où, il y a encore quelques jours, le Hezbollah la sommait d’intervenir, à défaut de quoi il le ferait lui-même.
Ce qui est donc certain, c’est que le Premier ministre, Tammam Salam, a réussi à dissocier le dossier de Ersal de celui des nominations aux postes de sécurité, obtenant ainsi pour son gouvernement, que l’on croyait condamné, un sursis appréciable. L’adhésion du Hezbollah au communiqué ministériel n’est pas venue toute seule. Il a fallu plusieurs allers-retours du texte discuté pour que la mouture finale soit adoptée dans sa forme alambiquée mais satisfaisante pour presque tout le monde.
La confiance accordée au commandement militaire, dans le communiqué, a soulevé les « réserves » de Gebran Bassil. Ce dernier s’est promis de demander des comptes jeudi prochain à l’institution militaire au sujet de la mission qui lui a ainsi été confiée.
Une autre réserve a été émise par Achraf Rifi. Le ministre de la Justice a demandé que la tâche du maintien de la sécurité s’étende à toute la Békaa-Nord, soit aux zones de présence du Hezbollah qu’il a assimilé à une milice. « Les armes illégales sont un seul et même problème, indépendamment de leur provenance », a-t-il affirmé en regardant ses collègues du Hezbollah dans les yeux. Le ton est même monté entre MM. Rifi et Hussein Hajj Hassan quand le premier a accusé le Hezbollah de voler des armes dans des dépôts appartenant à ses alliés et de les vendre à des marchands. C’est ainsi que ces armes ont fini aux mains des jihadistes, a-t-il affirmé aux protestations de mensonge de son collègue.
Par pure manœuvre, le ministre de l’Intérieur devait proposer le nom du général Imad Osman comme successeur du général Ibrahim Basbous, mais la proposition n’a pas fait l’unanimité.
Toujours est-il qu’en entendant Gebran Bassil discourir et refuser que soient examinés les deux points urgents des redevances aux hôpitaux gouvernementaux et privés, et des subventions à l’exportation par voie maritime des produits maraîchers et fruitiers, les deux ministres du PSP, Waël Bou Faour et Akram Chehayeb, se sont retirés de la séance. M. Bou Faour devait se rendre directement à Aïn el-Tiné en annonçant le début de la phase de « paralysie du gouvernement ». M. Chehayeb, ministre de l’Agriculture, devait pour sa part déplorer qu’un homme politique puisse sacrifier les intérêts de la population à sa « soif du pouvoir ».
Efforts d’apaisement de Pharaon
Le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, lui aussi, apprend-on, devait plaider, mais en vain, en faveur de l’apaisement, faisant valoir que la date du départ du général Jean Kahwagi n’intervient qu’en septembre et qu’il est raisonnable de ne pas paralyser le gouvernement, mais d’y débattre des dossiers urgents.
Va-t-on donc vers le blocage de l’exécutif prédit par M. Bou Faour ? Oui et non. Oui si le CPL entraîne ses alliés dans son aventure. Or, dès à présent, on sait que les ministres chiites relevant du mouvement Amal ne boycotteront pas les réunions du gouvernement, comme l’avait officiellement affirmé Nabih Berry. Pour des raisons politiques, le Hezbollah semble lui aussi tenir à sa « couverture » gouvernementale.
Cela étant, le courant aouniste pourrait ménager la chèvre et le chou, et, tout en assistant aux réunions du gouvernement, tenter de les bloquer de l’intérieur, sans chercher à remettre en question le fait accompli de la nomination du général Basbous.
Dans une conférence de presse ultérieure, M. Bassil devait confirmer que son courant s’opposera à toute prise de décision en Conseil des ministres tant que la question des nominations ne sera pas réglée. En clair, tant que le général Chamel Roukoz, gendre de Michel Aoun, n’aura pas supplanté le général Jean Kahwagi à la tête de l’armée.
Les déclarations de M. Bassil se posant comme le champion des chrétiens ont, à leur tour, soulevé des réserves. « Le problème, a dit Michel Sleiman sur son compte Twitter, c’est que certains ne reconnaissent comme chrétiens que ceux qui font partie de leur courant ! »
Il est plus que probable que la nuisance économique d’un blocage du Conseil des ministres et ses retombées impopulaires aient finalement raison de l’entêtement de Michel Aoun, estiment des observateurs.
Les secousses provoquées par la nomination du général Basbous ont éclipsé hier la mission nouvellement entamée de Jean-François Girault, émissaire du gouvernement français, venu tâter du terrain en ce qui concerne la présidentielle.
« Matraquage criminel »
Du côté de l’armée libanaise, on s’est refusé à commenter les opérations du Hezbollah dans le jurd de Ersal, et l’on a rappelé des propos tenus la semaine dernière par le général Kahwagi qui avait déploré la campagne de désinformation orchestrée contre l’armée et « le matraquage criminel » dont elle est l’objet. L’armée est déployée sur tout le territoire libanais, où elle remplit des tâches de sécurité intérieure, fait-on aussi valoir. Il est difficile pour elle de dégarnir certains fronts compte tenu du nombre des réfugiés syriens présents et de l’antagonisme chiite-sunnite en recrudescence, notamment après l’apparition de « milices » chiites mobilisées par les tribus de la Békaa.
Enfin, il est pénible à l’armée de voir ses sacrifices ignorés ou minimisés par pur calcul politique. Ceux qui le font portent, qu’ils le veuillent ou non, atteinte à son moral, alors qu’elle est en pleine confrontation, conclut une source qui rappelle que pour conforter ses positions et défendre les villages frontaliers entre Ersal et Ras Baalbeck, l’armée n’a pas hésité à lancer trois attaques, le 23 janvier, le 26 février et le lundi de Pâques.