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L’elle ou la côte

L’édito

 

Les grincheux et les grincheuses pourront continuer à pester contre ce rendez-vous annuel, à tort ou à raison, autant qu’ils le souhaitent : la Journée internationale de la femme restera. En réalité, il faudrait la cloner. La reproduire. Chaque jour. Jusqu’à ce que les États comprennent. Jusqu’à ce que la société civile comprenne. Jusqu’à ce que chaque être humain comprenne. Qu’il est insensé qu’une femme soit battue à mort par son compagnon ou qu’une fille soit assassinée par son père ou son frère parce qu’elle aurait souillé on ne sait quel honneur sans que les criminels ne finissent leurs jours en prison. Qu’il est insoutenable qu’à compétences égales, une salariée soit moins payée qu’un homme. Qu’il est risible de ne voir qu’une toute petite poignée de députées et de ministres dans un Parlement ou un gouvernement. Qu’il est absolument indécent qu’une mère ne puisse pas transmettre sa nationalité à son enfant, ou qu’une fille ne soit pas obligée d’aller à l’école. Qu’il est intolérable, enfin, qu’une femme ne puisse pas disposer de son corps exactement tel qu’elle l’entend. Des concepts basiques, furieusement évidents ; tellement, qu’en parler encore et encore, en 2015, est juste inadmissible.
Hier, c’était sans doute un Liban-message. Aujourd’hui, c’est un Liban-plaisanterie : l’élection présidentielle mise à part, aucun chantier législatif, dans ce Berryland de plus en plus atone et stérile, n’est plus important désormais que celui des droits de la femme. C’est à se demander si les députés et les ministres libanais ont des mères, des filles, des sœurs, des épouses… À se demander aussi ce qu’elles attendent, toutes, celles de Nabatiyé, de Zahlé, de Tripoli et de Beyrouth, les sunnites, les maronites, les druzes, les chiites, les athées, les grosses et les anorexiques, les putains et les mamans, les working girls en Prada et les paysannes en sabots ; ce qu’elles attendent pour ne plus attendre, pour (ré)agir, pour devenir actrices de leur propre (r)évolution. Bien sûr, la situation au Liban est un tantinet plus clémente qu’ailleurs dans la région ; bien sûr, les associations de défense des droits de la femme font souvent un travail remarquable. Nécessaire. Mais encore insuffisant. À quoi servent cent et une révolutions du Cèdre si ce pays reste enfoui dans son paléolithique le plus stupide ? À quoi servent les combats contre les obscurantismes et tous les Daech du monde si les Libanaises, toutes catégories confondues, mais aussi les Libanais, continuent d’accepter que les lois de leur pays restent en l’état ? Et si la côte que ce brave Dieu avait prise sur son brouillon, Adam, pour créer Ève n’était pas la bonne, pas le bon os ?
Dans les dix premières places du classement de L’Orient-Le Jour des trente Libanais qui avaient (dé)fait 2014, huit étaient brillamment occupées par des femmes, dont Amal Alameddine Clooney, Haïfa Wehbé, Léa Salamé, Zeina Kassem ou Sarah Beydoun. Mais maintenant, c’est à la vitesse supérieure qu’il faudra passer, ce sont des Simone Veil, des Malala, des Sheryl Sandberg, des Angela Merkel ou des Rei Kawakubo libanaises dont ce pays a besoin ; ce sont des Laure Moghaïzel et des May Joumblatt qu’il va falloir ressusciter. Maintenant, ce n’est plus d’un Monologue du vagin dont le Liban a besoin, mais d’une symphonie.