Michel Aoun et Samir Geagea ont scellé mardi soir une réconciliation historique mettant fin à 30 ans de conflit fratricide, tantôt militaire, tantôt politique. Les deux hommes ont ouvert à Rabieh une nouvelle page, au terme de plusieurs rounds de dialogue menés grâce aux efforts communs du député Ibrahim Kanaan et du journaliste Melhem Riachi, qui ont débouché sur la déclaration d’intentions en 16 points entre le Courant patriotique libre (CPL) et les Forces libanaises (FL). Ce texte souligne, entre autres, une volonté commune de faire des principes démocratiques le socle des relations entre les deux partis et de maintenir les principes constitutionnels et consensuels au-dessus de la rivalité politique. Il met par ailleurs en évidence le désir des deux formations d’œuvrer ensemble et de coordonner leurs efforts dans tous les domaines possibles, de se livrer à une concurrence sans hostilité sur les points de divergence et de se concerter sur toutes les questions à caractère public et national. Selon une personnalité chrétienne active, ce document fait office de « Constitution pour les chrétiens » et impose le respect et la réaffirmation de leurs droits, dans la mesure où aucune partie chrétienne ne peut outrepasser les revendications qui y sont exprimées.
Des sources politiques proches du CPL et des FL affirment que le geste audacieux accompli par les deux hommes, que le général Aoun a qualifié de « cadeau pour les chrétiens », vise à consolider la présence chrétienne au Liban et dans la région, et à créer un climat favorable, sur la scène locale, à une telle entreprise. Il s’agit aussi de recouvrer le rôle des chrétiens après sa marginalisation, au gré des développements nationaux et des conflits à l’intérieur de la communauté – sans oublier le rôle destructeur du régime syrien à cet égard durant les années d’occupation. La déclaration d’intentions met fin, selon ses auteurs, au temps de la marginalisation et de l’occultation du rôle chrétien, et marque celui de la réappropriation par ces derniers de leurs droits au niveau de la participation politique et de l’État. C’est d’ailleurs sur ce point que s’est focalisé l’entretien entre MM. Aoun et Geagea à Rabieh. Les deux hommes se sont ainsi entendus sur la nécessité de redynamiser la présence chrétienne au Liban. Passée l’annonce, les deux parties se focalisent à présent sur la stratégie à suivre pour diffuser ce texte aussi bien au plan local qu’international, d’autant que, soutiennent-elles, l’initiative a laissé un sentiment important de réconfort sur le territoire national et au niveau des autres parties. Une source proche de Rabieh explique, dans ce cadre, que les points de divergence entre les deux pôles n’auront aucun impact sur le dialogue et la réconciliation de Rabieh. Les dossiers qui opposent les deux partis – le Hezbollah, ses armes et son implication en Syrie, l’élection présidentielle, les nominations des chefs sécuritaires et la crise ministérielle – seront ainsi tenus à l’écart des débats.
Parallèlement, le CPL et les FL ne se sont toujours pas entendus sur la deuxième étape du processus de réconciliation. MM. Kanaan et Riachi devraient se réunir dans les 48 heures pour évaluer les réactions à la rencontre Aoun-Geagea, et mettre en place une feuille de route pour les jours à venir. Une visite du général Aoun à Maarab est ainsi à l’étude et des délégations des FL devraient faire le tour des formations alliées au sein du 14 Mars pour leur remettre une copie de la déclaration d’intentions avec le CPL et leur expliquer l’importance de la démarche. L’objectif est d’élargir le spectre de cette réconciliation pour qu’elle puisse inclure le plus de participation chrétienne possible, notamment les Kataëb, les Marada et les indépendants. D’autres « cadeaux » pour les chrétiens pourraient donc suivre… Ces concertations chrétiennes élargies pourraient servir de base en vue d’un dialogue national à partir des exemples actuels entre le Futur et le Hezbollah et le CPL et les FL.
Il reste que la démarche commune de Michel Aoun et Samir Geagea n’a pas fait l’unanimité dans l’opinion publique. Pour certains, elle entre dans un cadre exclusivement chrétien au lieu de s’inscrire dans un espace national, d’autant que les deux parties ne sont pas d’accord sur les dossiers politiques fondamentaux. Partant, quelle est la portée de cette entente si les deux camps sont toujours divisés sur la thématique de l’État, de la souveraineté et du monopole de la violence légitime ? D’aucuns se demandent, dans ce cadre, si toute l’affaire n’est pas pure histoire de manœuvres politiciennes de la part des deux hommes. Pour d’autres, en revanche, l’initiative est la bienvenue, dans la mesure où elle est rassembleuse, ce qui est actuellement nécessaire sur la scène chrétienne et accorde la priorité à l’intérêt national sur les influences extérieures.
Quoi qu’il en soit, les milieux du CPL affirment que cet acte politique marque le début d’une longue route et ne représente en aucun cas une manœuvre éphémère. Ce qui compte, par dessus tout, soulignent-ils, c’est que les heures sombres des conflits chrétiens au Liban sont à jamais terminées.