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Les aveux d’un otage bien traité

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Maintenant qu’il est élu à la présidence de la République, voyons si Michel Aoun peut donner sa pleine mesure d’homme d’État. Nous ne devons pas bouder notre plaisir de voir un homme qui a été un baroudeur s’assagir, et présenter cette face tranquille, presque neutre, qu’on lui voit sur les photos officielles. Il a fait bonne figure en Arabie saoudite et au Qatar, il est affable avec les hôtes locaux et étrangers du palais présidentiel, son discours devant le corps diplomatique était bien enlevé. Les nostalgiques de la guerre de libération pavoisent, mais…
Mais c’est sur ce qu’il fera de la justice qu’en définitive on le jugera. Et là, le mandat doit encore faire ses preuves, et les exploits des services de sécurité ne doivent pas occulter l’affaire Saad Richa.
Le récit de la libération samedi dernier de ce commerçant de Zahlé enlevé quatre jours plus tôt est un modèle du genre. Voici un septuagénaire qui, enfin rentré chez lui après quatre jours angoissants au cours desquels sa famille a remué ciel et terre pour le retrouver, remercie ses ravisseurs (qui comptaient l’échanger contre rançon) et affirme qu’il a été « bien traité ». Mesure-t-on l’ironie? Bien traité, après avoir été privé de sa liberté pendant quatre jours? Bien traité quand les vôtres sont plongés dans une angoisse de chaque minute pendant des jours ? Bien traité, avec une cagoule sur la tête pour qu’une fois libéré il ne puisse identifier ses ravisseurs? Certes, il y a des degrés dans la maltraitance, mais n’en sommes-nous pas aux bons débuts ?
L’otage a été rendu à la liberté, grâce à des démarches énergiques lancées par Nabih Berry. Autant dire que ses ravisseurs sont désormais identifiés. Hélas, ils continuent de circuler librement. Aux dernières nouvelles, le procureur général de la Békaa a ouvert une enquête et l’acte ne resterait pas impuni. On verra bien ! Cet incident doit servir de test du sérieux avec lequel l’autorité politique prend la sécurité dans la Békaa; test aussi de la fermeté dont saura faire preuve l’autorité judiciaire, face à des criminels endurcis.
Entre-temps, on ne pourra pas empêcher les réseaux sociaux, l’opinion publique, de déclarer que ce n’est pas l’armée qui a libéré Saad Richa, mais le mouvement Amal, et que l’on végète dans une « sécurité à l’amiable » qui sent très fort sa guerre civile. Dans la Békaa comme dans toutes les régions de présence tribale, les mœurs doivent évoluer. La solidarité tribale doit céder devant la responsabilité personnelle, et les malfaiteurs répondre de leurs actes, indépendamment de leur appartenance sociale ou religieuse.
Dans d’autres domaines, comme la culture du haschisch et du pavot, il en va autrement. Sur ce plan, des comptes doivent être demandés aux deux parties engagées : les cultivateurs de la Békaa et l’autorité qui ne leur a pas laissé d’autre choix que de vivre de cet expédient.
On ne peut pas en dire autant du Captagon. La contrebande de cette capsule d’amphétamines fait rage, croit-on savoir, et il en passe au moins autant qu’il en est saisi. Mais là, c’est une question de police, non de justice.
Rappelons cependant, pour le plaisir de se souvenir, que dans le bon vieux temps, l’amphétamine, en vente libre, était en vogue dans les milieux étudiants, à l’approche des examens, quand l’effort final pour compenser les jours de paresse ou de militantisme ne pouvait plus être ajourné, et que les nuits blanches devenaient de rigueur pour abattre les programmes et les manuels. Ça aussi, en un sens, c’était une affaire de mœurs, une façon de vivre, un certain Liban.
Pour en revenir à la justice, que va-t-on en faire ? Va-t-on lui permettre d’agir ? Va-t-on tirer au clair les grandes affaires de corruption et de détournement de fonds publics soulevées en privé et en public ? Cela dépendra des autorisations nécessaires qui seront accordées au parquet, et en particulier au parquet financier, répond une source judiciaire bien informée, précisant qu’on ne peut demander des comptes à la justice si ces autorisations lui sont refusées.
Par ailleurs, le gouvernement, à la demande du ministre de la Justice, Salim Jreissati (CPL), a demandé le retrait de l’ordre du jour de la récente session parlementaire d’un projet de loi sur l’autorité judiciaire qui avait, cependant, été approuvé à l’unanimité par la commission de l’Administration et de la Justice (où siègent trois députés CPL). Le texte prévoyait que tout train de nomination ou de permutation préparé par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) entrerait d’office en vigueur s’il a été approuvé par 8 membres sur 10, un mois après avoir été soumis pour avis, même si le ministre de la Justice ne le promulgue pas par décret. Fallait-il vraiment faire attendre un texte de loi qui va si clairement dans le sens de l’indépendance judiciaire ?