IMLebanon

Les bonnes mœurs…

L’ÉDITORIAL

 

Quels sont, cette fois, les termes du marché ? Et un simple retour au Sérail de Saad Hariri vaut-il vraiment un retournement aussi incroyable que celui qui amènerait incessamment le courant du Futur à lâcher son propre candidat pour soutenir formellement l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République ?

Impénétrables, les voies de ces seigneurs qui gouvernent notre lopin de terre ? Erreur : fort transparentes en effet, chez certains, peuvent être les arrière-pensées à chacun de ces interminables grenouillages de vendeur de tapis marquant invariablement les échéances constitutionnelles. Or comment mettre au pas les marchands du Temple sans auparavant avoir reconstruit le Temple, c’est-à-dire la Constitution, ou ce qui en reste ? C’est ce que voudrait le bon sens : celui-là même qui porte, par exemple, un pays ami comme la France à prôner une entente nationale permettant le retour à un fonctionnement normal de nos institutions*.

Le malheur, c’est que les démarches internes déployées à cette même fin manquent totalement, outrageusement, de… normalité, précisément. Car c’est en flagrante contradiction avec les dispositions de la Constitution que le Hezbollah, notoirement favorable à un remodelage du système, a bloqué, durant deux ans et demi, l’élection présidentielle. Pour cette raison, l’élection de Michel Aoun, son candidat, allié et complice dans la pratique du sabotage du quorum parlementaire, serait la triste preuve que dans le Liban d’aujourd’hui, c’est l’illégalité – et elle seule – qui est payante.

Non moins sujette à caution était l’idée du panier d’arrangements colporté par le président de l’Assemblée qui prétendait, lui, imposer par avance à tout candidat à la présidence un inacceptable corset de limitations et de contraintes. Pris de court par les évènements, le mouvement de Nabih Berry voyait hier dans l’imminente jonction entre Aoun et Hariri un fâcheux remake du couple sunnito-maronite qui enfanta le pacte national de 1943 : réaction des plus significatives confirmant, au-delà de toute attente, la quête du tandem Amal-Hezbollah d’une redéfinition de l’acte fondateur du Liban indépendant réservant une part plus consistante à la composante chiite du pays.

Pour légitime que puisse être une telle aspiration, on peut se demander qui donc, parmi les adeptes du changement, a seulement notion ou souvenance de toute normalité constitutionnelle, maintenant qu’ont pris racine toutes les hérésies des dernières années. On a allègrement oublié, ainsi, qu’il ne peut exister, en démocratie, de ministre opposant, que tout gouvernement est, par définition, solidaire. Et que si un de ses membres n’est pas d’accord avec la ligne officielle, il peut toujours démissionner, et non embarquer le pays tout entier dans des aventures guerrières, tantôt contre Israël et tantôt contre les rebelles de Syrie, du Yémen ou d’ailleurs. On a inventé et mis en vigueur cette minorité de blocage qui, comme son nom l’indique avec éloquence, voue tout gouvernement à la paralysie. Et surtout, c’est sans le moindre scrupule que l’on revient sur la parole donnée, sur les engagements contractés comme on l’a vu, entre mille autres exemples, avec l’accord de Doha, la conférence du dialogue national et la proclamation mort-née de Baabda.

Autant, sinon davantage, que la marche des institutions, ce sont les mœurs politiques libanaises qu’il faut, d’urgence, codifier. À réduire la convivialité libanaise à un mercantile échange d’avantages personnels ou claniques, à ne remuer finalement que du vent, ce sont seulement des tempêtes futures que l’on prépare.