À un jour du Conseil des ministres censé approuver le nouveau projet de loi électorale, l’incertitude persiste autour du scénario en vue. Sera-t-il celui de la proportionnelle sur quinze circonscriptions, sachant que ce projet continue de buter sur les garanties que réclame le Courant patriotique libre (CPL) ? Ou bien assisterons-nous à un retour à la loi de 1960, imposé par l’échec d’une réforme et le danger, à plus d’un égard, du vide au niveau du législatif ? Un tel retour est-il encore envisageable ? Quelle serait, en tout état de cause, la durée acceptable de la prorogation du mandat du Parlement, sachant par exemple que les milieux de Baabda prévoient un seuil maximum de trois ou quatre mois, alors que le Grand Sérail souhaiterait une prorogation plus longue ?
Au-delà des positions déclarées qui peuvent fluctuer au cours d’une même journée, certains éléments de réponse révélés à L’Orient-Le Jour par des milieux politiques concordants mériteraient d’être retenus comme vraisemblables.
Il y a d’abord le constat que les parties politiques, à commencer par le président de la République, suivi par le Premier ministre hier (voir par ailleurs) ont été si loin dans la diabolisation de l’ancienne loi qu’il n’est plus possible pour eux d’inverser le processus. Surtout qu’aucune partie n’est disposée à assumer la responsabilité seule d’un retour à la loi de 1960.
Ce constat serait positif en soi, si seulement la volonté politique était en adéquation avec les dires officiels. Parce que, en réalité – et c’est là le cœur du problème actuel –, les parties politiques qui avaient été les plus promptes à stigmatiser la loi de 1960 viennent de réaliser que celle-ci sied mieux à leurs intérêts électoraux que la proportionnelle. Cela vaudrait surtout pour le tandem chrétien du CPL et des Forces libanaises (FL) : les premiers à dire que le maintien de l’ancienne loi signerait la fin du mandat actuel, ils auraient, selon des sources concordantes, fait des calculs électoraux leur donnant la preuve du contraire. Aussi, la persistance du chef du CPL, le ministre Gebran Bassil, à exiger des garanties ambitieuses avec la proportionnelle trahirait-elle cette ambivalence où se trouve son camp. Parmi ces garanties, certaines paraissent d’entrée faire l’objet d’un faux débat. Il en va de la demande du ministre d’obtenir six sièges parlementaires aux émigrés, à partir des sièges existants. Vaste perspective, reçue avec tiédeur par les FL, et immédiatement déclinée par le président de la Chambre et par le Hezbollah – qui se verrait mal faire campagne auprès de la diaspora à l’heure où la conjoncture internationale n’est pas forcément en sa faveur. Il est prévu que ce point du débat soit au mieux reporté à d’autres législatives, apprend-on de source informée. Une autre demande du ministre qui risque, elle, de s’aggraver porte sur la codification de la parité islamo-chrétienne au Parlement, et la création parallèle d’un Sénat. Accusée d’enraciner le communautarisme, cette revendication est surtout crainte pour l’usage que pourrait en faire son titulaire : réclamer une révision de la Constitution, au nom des droits des chrétiens, s’il ne parvient pas à obtenir gain de cause au niveau des négociations de la nouvelle loi électorale.
Vote préférentiel appliqué au caza
C’est là qu’intervient une question de bon sens : qu’est-ce qui pourrait satisfaire le CPL ? Quelles sont ses demandes réelles, non déclarées aux médias ? Cherchez Batroun… Selon une source parlementaire centriste, M. Bassil tiendrait à obtenir le transfert du siège maronite de Tripoli vers Batroun. Ce serait pour lui le seul moyen de sécuriser sa victoire personnelle aux législatives, quel que soit le mode de scrutin adopté. En effet, à en croire cette même source, un retour à la loi de 1960 pourrait encore s’opérer moyennant des amendements possibles que le débat autour de la loi électorale aurait consacrés indépendamment de la proportionnelle. Parmi ces amendements, le transfert du siège attribué à un député protestant de Beyrouth III (Mousseitbé) vers Beyrouth I (Achrafieh). Cette concession du courant du Futur aux FL expliquerait en partie le triomphalisme des milieux FL après la médiation Adwan. Elle serait en tout cas « acquise », assure cette source, alors que les autres suggestions de transfert de sièges, y compris pour Batroun, semblent tombées à l’eau. La visite du député de Tripoli, Nagib Mikati, à Aïn el-Tiné hier ne présage pas du contraire. Il a exprimé à la presse sa volonté et celle du chef du législatif de maintenir le siège maronite à Tripoli. « Tous les Tripolitains tiennent eux aussi à ce siège, et c’est la raison de ma visite aujourd’hui chez le président Berry. Nous sommes d’accord sur cette question », a déclaré l’ancien Premier ministre. La déclaration du député Mohammad Raad, elle, a sonné presque comme un rappel à l’ordre. « Nous devons finaliser ce qu’il reste de la nouvelle loi et clore le débat, puisque le cadre a été approuvé par consensus, à savoir la proportionnelle avec quinze circonscriptions. Pour les détails, ils ne méritent pas plus que d’être survolés », a lancé le chef du bloc parlementaire de Fidélité à la résistance lors d’une cérémonie funèbre à Zebdine (Liban-Sud).
Le « survol des détails » pourrait signifier le recours au vote, en Conseil des ministres demain à Baabda, sur les « garanties » revendiquées notamment par M. Bassil. Sachant que la loi électorale fait partie des « questions fondamentales » strictement énumérées par la Constitution, tout vote de projet y relatif en Conseil des ministres se fait aux deux tiers des ministres. Au vu de la configuration du cabinet actuel, un vote aux deux tiers serait synonyme de consensus politique. Et la seule des demandes du camp aouniste à même de décrocher ce consensus semble être le vote préférentiel appliqué au caza (alors que les FL avaient souhaité la circonscription). Mais un vote préférentiel sans condition de pourcentage de votes ni restriction communautaire.
Il n’est pas sûr toutefois que cette compensation suffise… surtout que certains cadres politiques évoquaient hier soir, comme ultime issue de secours au pouvoir en place, un nouveau report prolongé des législatives et, partant, une nouvelle prorogation du mandat de la Chambre.