Depuis que les élections municipales ont commencé à se dérouler sur l’ensemble du territoire libanais, un vent d’optimisme politique semble souffler sur le pays. Les phrases du genre « une possibilité de déblocage en août » ou encore « une élection présidentielle à l’automne » et même « des élections législatives anticipées avant la fin de l’année » se multiplient, sans que ceux qui les lancent soient en mesure de donner plus de précisions. S’agit-il de simples vœux pieux ou de possibilités sérieuses ? Difficile de le savoir, même si les milieux diplomatiques occidentaux évoquent eux aussi des possibilités de déblocage de l’impasse actuelle dans les prochains mois.
Faute d’éléments concrets, il faut se contenter d’analyser les données objectives. Force est donc d’abord de constater que le déroulement des élections municipales dans tous les mohafazats du pays sans incident majeur a fait tomber tous les prétextes avancés pour proroger le mandat de l’actuel Parlement qui avait expiré en 2013. Il est désormais clair qu’il ne sera plus possible (sauf catastrophe imprévue) de procéder à une nouvelle prorogation en juin 2017. En principe, il ne faudrait même pas attendre jusqu’à l’expiration du délai de la dernière prorogation, puisque le Conseil constitutionnel avait estimé que, s’il y a des élections municipales, il deviendra impératif d’organiser des élections législatives sans plus attendre, la raison invoquée pour la prorogation et qui se résume au « cas de force majeure » n’ayant plus lieu d’être.
L’obligation d’organiser des élections législatives dans les plus brefs délais pose toutefois à son tour de nombreux problèmes. D’abord, celui de la loi électorale, sachant qu’au Liban et depuis l’accord de Taëf, toutes les élections législatives se sont pratiquement déroulées « sous contrôle » avec des résultats pratiquement connus à l’avance, avec juste un peu de suspense au sujet de quelques sièges qui ne changent pas en profondeur le rapport des forces politiques. Les lois électorales sur la base desquelles se sont déroulées jusqu’à présent les élections de 1992 à 2009 étaient donc élaborées de façon à assurer l’arrivée au Parlement des forces politiques traditionnelles, avec quelques changements de temps à autre pour donner l’illusion d’une véritable démocratie. Mais, au fond, nul n’était dupe et le suspense assez limité. Aussi bien le découpage des circonscriptions que le mode de scrutin majoritaire étaient les garants du maintien du système et de l’absence de surprises. Aujourd’hui, avec le mécontentement et le malaise populaires suite à la crise des déchets et aux scandales à gogo, la classe politique doit être encore plus vigilante face à la base et verrouiller autant que possible la loi électorale. Mais comment le faire alors que « le démon de la proportionnelle » (qui fait peur à un grand nombre de partis politiques) a été introduit dans le débat et que l’idée de donner véritablement aux électeurs la possibilité de choisir leurs représentants loin des rouleaux compresseurs fait de plus en plus son chemin dans les esprits ? C’est là tout le défi que doit relever la classe politique, en donnant à la population l’illusion d’élaborer une loi plus moderne que celle qui était en vigueur en 2009, date des dernières législatives, sans pour autant mettre en danger le système qui tient les rouages du pays depuis les années 90. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains députés participant aux réunions des commissions parlementaires conjointes pour l’élaboration d’une nouvelle loi électorale évoquent discrètement la possibilité de reprendre la loi qui prévalait en 2009, après lui avoir apporté quelques modifications mineures, destinées à calmer la population.
En attendant que cette option se précise, certains milieux politiques estiment qu’il serait peut-être plus facile, pour se dégager de la nécessité d’organiser des législatives dans les plus brefs délais, d’élire un nouveau président. Trois scénarios sont avancés pour concrétiser cette hypothèse qui a pour point de départ que toute la classe politique est aujourd’hui coincée par le bon déroulement des élections municipales et a besoin d’une échappatoire pour éviter les législatives. D’abord, la possibilité pour Saad Hariri d’accepter l’élection du général Michel Aoun, après avoir échoué à faire élire un autre candidat, y compris le chef des Marada Sleiman Frangié. Selon des milieux bien informés, une proposition circulerait entre les différentes parties politiques selon laquelle le général Aoun serait élu pour un mandat normal de six ans. Mais il s’engagerait à démissionner au bout de deux ans. Cette période serait considérée comme une période transitoire, destinée à reconstituer la classe politique, à travers la formation d’un gouvernement de transition qui élaborerait une nouvelle loi électorale et organiserait des législatives. Le nouveau Parlement légitime et légal devrait par la suite élire un nouveau président au bout de deux ans.
L’idée peut paraître farfelue, et, pour l’instant, elle n’a pas été confirmée par les parties politiques concernées. L’autre scénario est la possibilité de convaincre le Hezbollah, soumis à une guerre économique, politique, financière et médiatique sans précédent, de lâcher la candidature du général Aoun, moyennant l’allègement de son isolement politique qui s’est traduit par le fait qu’il était le seul absent du dîner donné par l’ambassadeur d’Arabie saoudite samedi, qui a regroupé tous les courants politiques. Les pressions exercées sur le Hezbollah pourraient donc le pousser à cesser d’appuyer la candidature du général Aoun, ouvrant ainsi la voie à un candidat dit de compromis. Le troisième scénario est que le général Aoun décide lui-même de se retirer de la course et désigne une autre personnalité pour la présidence de la République. Pour l’instant, l’hypothèse n’est même pas envisagée, mais les développements régionaux « attendus » au cours des prochains mois, notamment en Syrie (les deux camps parlent d’une grande offensive militaire qui modifierait les rapports des forces sur le terrain), pourraient donner un nouvel élan à une sortie de crise au Liban, dans un sens ou dans l’autre. Sinon, l’impasse est appelée à se prolonger jusqu’après janvier 2017.