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Les nombrils du monde

                                                                                                                                                L’édito

Plus que n’importe quel autre troglodyte de ce Proche-Orient devenu depuis des années, à quelques exceptions près, une immense, une barbare cave-bourbier, le Libanais se demande à quelle sauce il va être phagocyté, entre qalamounisation de son territoire et khameneisation de sa dynamique politique. Même si, quand il lui arrive de regarder par-delà ses nuages, il voit que le sort du Syrien, naturellement, n’a rien d’enviable. Que le Jordanien est assis sur un volcan. Que pour le Yéménite, c’est encore pire. Que même le Saoudien commence à sérieusement s’inquiéter. Que, bien sûr, le Palestinien, comme lui, comme les autres Arabes, ne pense qu’à lui, qu’à sa naqba, à ce 15 mai maudit. S’il regarde un peu plus loin, le Libanais verra que l’Iranien, tout aussi concentré sur lui-même, se ronge les ongles jusqu’au sang, entre une économie encore métastasée, un Irak-Etna, un nucléaire devenu affaire d’États, un risque de désassadisation de la Syrie, etc. Plus loin encore vers l’est, il verra le Chinois et le Japonais tout arc-boutés sur leurs démons, ou, pour l’un, sur la sinisation de l’Afrique, pour l’autre, sur les gloires perdues du sanctuaire de Yasukuni. S’il scrute le nord-ouest, ce Libanais verra l’Européen, l’Occidental, pleurer sur ces crypto-munichoiseries du IIIe millénaire et qui ont un nom : Crimée. Il le verra aussi se débattre et gigoter avec l’immigration, avec cette islamisation-soumission pas encore houellebecquienne. Enfin, beaucoup plus à l’ouest, il regardera le Cubain ou le Vénézuélien se convaincre en serrant les poings qu’il est (grand) temps de tendre les deux mains…

S’il vivait encore, George Orwell aurait néologisé sa Cold War  : c’est lui qui, pour la première fois, avait inventé le terme – c’était dans un article publié le 19 octobre 1945 dans le Tribune britannique, You and the Atomic Bomb. La guerre froide 2.0, c’est au tandem Obama-Poutine que le monde la doit : tiède en 2008, avec la guerre en Ossétie du Sud, elle s’est nettement refroidie avec ce concept-baluchon de lutte contre le terrorisme, et la voilà, depuis le 11 mars 2014, depuis la déclaration d’indépendance du Parlement de Crimée, férocement glacée. La quintessence des peurs et des colères de l’Arabe, quel qu’il soit, du Perse, du Turc, de l’Asiatique, de l’Européen, du Sud-Américain ou même de l’Africain, ce sont les relations viciées entre les États-Unis et la Russie qui la cristallisent et l’amplifient. S’assainiraient-elles, ces relations, que beaucoup de choses se règleraient, aux quatre coins du monde. Que, déjà, la bipolarisation planétaire USA-UE vs Russie-Chine s’assouplirait nettement. Qu’Angela Merkel, russophone accomplie, espacerait grandement ses visites dans ce Kremlin dont elle déteste le maître. Que toutes ces poupées russes, un comble : elles sont symbole de fertilité, se désemboîteraient l’une de l’autre, vivraient chacune sa vie.

Cette seconde guerre froide mondiale a ceci de particulièrement rageant qu’elle n’incommode en (presque) rien ses deux principaux protagonistes. Le reste du monde, par contre, soit se décompose, soit migre, soit se meurt. Des dommages collatéraux, diront-ils