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Les noms des « nouveaux naturalisés » bientôt publiés : avec ou sans lifting ?

Jeanine JALKH

La confusion créée après les fuites autour du décret controversé de naturalisation de quelques centaines de ressortissants étrangers pourrait être partiellement dissipée d’ici à quelques jours, si les pouvoirs tiennent leur promesse de rendre publics incessamment les noms des bénéficiaires. Ce qui aurait pour avantage de mettre un terme aux rumeurs circulant à ce sujet.

De son côté, la direction de la Sûreté générale, à qui l’on a confié ce dossier a posteriori, a lancé hier un appel public plutôt insolite sollicitant, à partir de demain jeudi, quiconque détiendrait des informations sur les personnes dont les noms ont figuré dans le décret de naturalisation de les lui communiquer. La Sûreté générale se fait ainsi l’écho de la position exprimée il y a quelques jours par le chef de l’État Michel Aoun à ce sujet, lorsqu’il a notamment demandé aux Libanais de formuler leurs plaintes à l’égard des bénéficiaires s’ils en avaient. Le président avait exprimé cet avis tout en sachant pourtant que le décret et donc les noms n’avaient pas été rendus publics. Il cherchait vraisemblablement à calmer le jeu alors que la grogne montait et que les voix de contestation se multipliaient.

La Sûreté générale qui a hérité, par la force du scandale suscité, de ce dossier houleux a semble-t-il opté pour une transparence tardive, notamment après les requêtes incessantes faites par les Kataëb, rejoints par les FL et le PSP, de l’obligation de publier ce décret, qui, rappelons-le, est passé en catimini, jusqu’à ce que les noms de quelques-uns parmi les 388 bénéficiaires aient filtré à la presse. Parmi ceux-là, des ressortissants syriens et palestiniens, dont des hommes d’affaires proches du régime syrien et des personnes fortunées qui seraient « blacklistées » par l’Occident.

Si l’on en croit par ailleurs les propos du chef des Kataëb, Samy Gemayel, qui a annoncé hier avoir reçu des assurances de la part du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, sur la publication, dans les prochaines 48 heures, des noms concernés, on devrait en conclure que l’énigme qui entoure cette affaire devrait être, en partie du moins, élucidée. À moins que le décret – qui n’a pas été publié au Journal officiel – n’ait subi entre-temps un lifting de dernière minute, comme le craignent certains, pour sauver la face de ses initiateurs, à savoir le chef de l’État, Michel Aoun, le Premier ministre, Saad Hariri, et le ministre de l’Intérieur, les trois signataires du décret. C’est ce que devait insinuer M. Gemayel, à l’issue d’une réunion entre les avocats des Kataëb, des FL et du PSP au siège des Kataëb à Saïfi. « Nous sommes surpris par la confusion, les déclarations et les agissements contradictoires des responsables, d’autant que certains parlent de modification de la liste des noms », a déclaré le chef des Kataëb. « Nous avons besoin de la copie du texte du décret et nous respectons les prérogatives du président de la République. Nous voulons juste examiner ces noms pour savoir si ces personnes méritent la nationalité », a déclaré M. Gemayel.

Lundi, les Kataëb, les FL et le bloc du Rassemblement démocratique (joumblattiste) avaient déposé une demande auprès du ministère de l’Intérieur afin d’obtenir une copie de ce décret qu’ils contestent vivement, notamment pour son manque de transparence en matière des critères appliqués dans la sélection des personnes à naturaliser. Plusieurs juristes ont levé la voix pour contester l’argument selon lequel aucun texte n’obligeait le président à publier ce décret au Journal officiel. Un avis que conteste notamment la juriste Lara Saadé, proche de Samy Gemayel, qui a notamment invoqué, dans un entretien avec L’OLJ l’article 6 de la loi sur le droit d’accès à l’information, lequel, rappelle la juriste, « prévoit l’obligation de rendre public tout texte de loi et décret quelle que soit sa nature ».

Ce serait donc par le biais de la Sûreté générale – chargée il y a quelques jours seulement d’enquêter sur les noms après que le scandale eut éclaté – que les responsables tenteront de remédier à cette faille de procédure.

Confusion des genres
Pour certains juristes, le problème se situe bien au-delà de ce vice de forme mais porte sur le principe même de la naturalisation et sa réglementation. Professeur de droit international et avocat au barreau de Beyrouth et de Paris, Antoine Sfeir s’étonne du fait que l’on se réfère à la loi de 1925 pour justifier un tel décret, qui, de toute évidence est un décret à caractère collectif, si l’on en croit le chiffre qui circule. Or, dit le juriste, la loi de 1925 prévoit l’octroi de la nationalité « à titre individuel ou nominatif à des personnes bien précises ou à quelques familles, un acte qui effectivement revient de droit au chef de l’État (loi de 1925) mais qui n’est pas un droit absolu et sans limite ». Ce droit est toutefois à distinguer de la loi sur la nationalité qui reste le droit commun en la matière et qui doit nécessairement faire l’objet d’un texte de loi adopté au Parlement. « Un décret de naturalisation collective porte sur des catégories objectives et non subjectives ou fondées sur le pouvoir d’appréciation du chef de l’État », précise encore le juriste. Or, poursuit M. Sfeir, le fait de naturaliser près de 400 personnes n’est plus du ressort du chef de l’État, mais doit nécessairement passer par une procédure prévue par l’article 6 de la Constitution.

Cela revient donc à dire que la confusion des genres a été la règle, non seulement durant ce mandat, mais également lors des mandats de deux prédécesseurs de M. Aoun, à savoir Michel Sleiman et Élias Hraoui. Le premier avait signé, une semaine avant la fin de son mandat en mai 2014, un décret naturalisant 644 personnes (dont des personnes condamnées). Quant à M. Hraoui, il a octroyé à plus de 157 000 personnes la nationalité, un décret qui a suscité une contestation houleuse mais dont l’application n’a pas été suspendue pour autant.

Dans ce qui est apparu comme une tentative de replâtrage après le tollé provoqué par cette affaire, le bloc du Futur a appelé hier à l’élaboration d’une loi sur l’octroi de la nationalité libanaise. Le bloc a préconisé dans un communiqué publié à l’issue de sa réunion hebdomadaire la préparation d’une loi « n’allant pas à l’encontre du droit constitutionnel du président de la République d’accorder la citoyenneté aux personnes jugées admissibles, mais régulant le processus dans l’intérêt national ».

Le groupe parlementaire du Futur a également souligné « la nécessité de prévoir des articles relatifs au droit des femmes libanaises mariées à un Arabe ou un étranger d’accorder la nationalité à leurs enfants », afin de « mettre un terme une fois pour toutes à l’injustice faite à des milliers de mères libanaises ». Une manière également de calmer le courroux des Libanaises mariées à des étrangers qui s’estiment « humiliées et trahies » par les responsables après la signature de ce « décret-fantôme », dixit Samy Gemayel.