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Les non-dits

L’ÉDITORIAL

 

Michel Aoun, Marine Le Pen. Si ces deux personnages se partagent la vedette dans les lignes qui suivent, ce n’est pas parce qu’on a pu les associer à la nébuleuse populiste qui, en ce moment, a le vent en poupe un peu partout dans le monde occidental. La raison de cette cohabitation éditoriale réside seulement dans le fait qu’à quelques jours d’intervalle, par leurs propos publics (ou au contraire par leurs silences sur plus d’une claire évidence), ils ont ravivé ces polémiques déjà vieilles mais remarquablement tenaces qui opposent les Libanais. Celles-ci portent sur deux points capitaux : les armes du Hezbollah et le cas du dictateur syrien Bachar el-Assad.

En visite officielle au Caire, le président de la République affirmait tout dernièrement, dans une interview télévisée, que l’armée régulière n’est pas de taille à affronter un ennemi aussi puissant qu’Israël : pour rigoureusement exact qu’il fût, le constat n’était pas trop charitable pour l’institution nationale, surtout dans la bouche d’un militaire de carrière qui fut, de surcroît, le commandant de la troupe. En somme, et malgré l’absence de toute entente nationale sur la politique de défense, le chef de l’État a solennellement promu le Hezbollah force auxiliaire : complémentaire mais non rivale, selon ses propres termes. Et il a paru nier l’évidence même en assurant que la milice ne mettait pas sur le plateau de la balance son formidable potentiel guerrier pour influencer, à son gré, le cours de la vie politique.

Non moins discutables, au demeurant, sont les non-dits du général-président. Car même en admettant que le stock de missiles que détient la milice peut effectivement constituer un sérieux facteur de dissuasion et même de représailles face à Benjamin Netanyahu, le même réalisme commande cette simple nuance : pour Libanais que soient ses dirigeants et effectifs (elle ne s’en cache pas, elle en tire même gloire !), la milice ne professe pas obédience au commandement de Yarzé mais au guide suprême de la révolution iranienne. Cela, le président devrait être le premier à le garder en mémoire…

C’est d’une logique elle aussi tronquée, partielle et partiale, que procède la démarche de Marine Le Pen dans son approche du dossier syrien. Que la patronne du Front national – comme tant d’autres désormais – accorde la priorité à la lutte contre les terroristes de Daech est évidemment son droit le plus strict ; encore qu’elle fait l’impasse sur la manière dont Bachar el-Assad, ouvrant les portes de ses geôles aux détenus islamistes, est parvenu à se doter d’un faire-valoir aussi épouvantable que les égorgeurs vêtus de noir. Oui, c’est son droit, mais seulement quand elle l’exerce chez elle. Chez elle, non dans un pays qui à ce jour, et en termes d’attentats politiques, d’assassinats et autres violences, a davantage souffert du terrorisme d’État pratiqué par le régime de Damas que des actes criminels de Daech.

Cette thèse du moins pire qu’incarne, pour elle, Assad, a sans doute trouvé à Beyrouth plus d’une oreille complaisante. Mais comment Marine Le Pen a-t-elle pu trouver moyen de la développer devant un Premier ministre qui ne cesse précisément d’imputer, haut et clair, le meurtre de son père au régime de Damas ?

Parmi son public, Marine Le Pen s’attirera sans doute des brassées de bravos pour s’être refusée au rituel protocolaire du port du voile, lors de sa rencontre, hier, avec le mufti de la République. Mais quant au reste…