« Pour qu’une crise puisse être résorbée, il faut qu’elle s’exacerbe », dit l’adage libanais. Celui-ci s’applique en l’occurrence à la guerre en Syrie où les combats se sont intensifiés, notamment à Alep. Dans certains milieux européens, on situe la violence des combats et du bombardement russe des positions rebelles, à partir de bases iraniennes, dans le cadre de manœuvres visant notamment à accélérer un règlement qui commencerait par l’arrêt des hostilités et l’institution d’un cessez-le-feu, avant le retour aux négociations sur base des résolutions de la conférence de Genève I, lesquelles prévoient la mise en place en Syrie d’un gouvernement de transition, au sein duquel toutes les parties seraient représentées et qui aurait pour mission de préparer une formule de règlement pour ce pays.
C’est dans le contexte d’un éventuel règlement qu’il faut donc placer l’entente russo-turco-iranienne apparue depuis peu. Son objectif, dit-on dans certains milieux diplomatiques, est de constituer une force de pression sur les États-Unis afin de les amener à assouplir leurs positions vis-à-vis du dossier syrien et à renoncer à certaines conditions qu’ils posent, dont notamment celle d’exclure le président Bachar el-Assad de tout règlement. Washington veut le départ d’Assad avant qu’un gouvernement de transition ne soit mis en place. Il a déjà adressé un avertissement aux forces du régime, les mettant en garde contre la montée de la violence à Alep et menaçant de « développements inattendus dans les prochaines quarante-huit heures ». En face, Moscou, Ankara et Téhéran restent favorables à la formation d’un gouvernement syrien élargi et insistent sur le fait qu’il appartient au peuple de décider de son propre sort.
Certains observateurs redoutent cependant que l’entente scellée entre les trois capitales ne vise principalement à tirer le maximum de profit du fait que l’administration américaine est pratiquement entrée dans une sorte de léthargie, à la veille des présidentielles prévues en novembre prochain, et que sa capacité à prendre des décisions majeures est presque réduite à zéro, le président Barack Obama voulant éviter toute démarche de nature à se répercuter négativement sur la campagne présidentielle et notamment sur la candidate du Parti démocrate.
Les trois capitales essaient ainsi de profiter de ce flottement afin de consolider leur positionnement sur la scène syrienne, pour pouvoir engager des négociations sur des bases solides avec la nouvelle administration américaine. Selon des sources qui suivent cependant de près le dossier syrien, Washington est parfaitement conscient de ces manœuvres et s’est empressé d’informer les autorités turques par le truchement du vice-président américain, Joe Biden, de son opposition à la création d’une entité kurde indépendante en Syrie, ainsi qu’à une partition de ce pays, en insistant sur l’attachement des États-unis à l’intégrité territoriale de la Syrie.
De mêmes sources, on souligne que cette position américaine est de nature à favoriser une solution politique en Syrie à partir du moment où les opérations militaires sur le terrain s’arrêteront. D’ailleurs, Washington a été très clair sur la question lorsqu’il a fait savoir au régime syrien et à ses alliés que s’ils vont continuer à bombarder les positions de l’opposition modérée, il ne va pas hésiter à l’équiper d’armes lourdes et de missiles qui lui permettront de riposter aux attaques aériennes.
Dans le même ordre d’idées, de sources proches du 14 Mars situent aussi le discours, samedi, du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans le contexte de la phase préparatoire à un règlement en Syrie. Le parti de Dieu essaie lui aussi de profiter de la « pause américaine » afin d’améliorer son positionnement au plan local, en imposant ses candidats à la tête de l’État et du Parlement et en exigeant des négociations avec le courant du Futur autour de la présidence du Conseil, ce que le parti de Saad Hariri a rejeté mardi.
Toujours au niveau local, dans les milieux politiques libanais, on attend la suite de la visite du chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Chucri, à Beyrouth, où il avait réuni mardi soir les différents protagonistes – à l’exception du Hezbollah et du PSP – autour d’un dîner de travail. Selon des sources politiques européennes, Le Caire n’aurait pas lancé une initiative en faveur d’un déblocage de la crise au Liban s’il n’existait pas un climat favorable à un règlement. Pour rappel, l’Égypte s’était concertée avec la France au sujet du Liban au début de l’année, mais les conditions n’étaient pas propices à l’époque pour un déblocage.
De mêmes sources, on indique que la France aurait obtenu un feu vert international pour lancer à son tour une dynamique de nature à paver la voie à un dénouement heureux de la crise présidentielle. Elle pourrait coordonner à ce niveau avec l’Égypte, l’Arabie saoudite et l’Iran, après avoir obtenu le soutien des États-Unis, de la Russie et du Vatican où le président français, François Hollande, a été reçu hier.
Selon les mêmes sources, le président Hollande serait déterminé à réaliser un accomplissement au niveau de sa politique étrangère afin de pouvoir l’exploiter dans le cadre des présidentielles françaises en mai 2017. Un règlement au Liban porterait sur le choix d’un candidat à la présidentielle en dehors du cadre des quatre pôles politiques de Bkerké, à savoir Amine Gemayel, Michel Aoun, Samir Geagea et Sleiman Frangié, ainsi que sur une entente autour d’une nouvelle loi électorale.