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Les propos de Aoun, un glissement vers le Hezbollah

 

La commémoration aujourd’hui du 14 février 2005 – date de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et de ses compagnons – survient à l’instant où l’équilibre du compromis sur la présidentielle est face à un défi existentiel. Les propos du président de la République, le général Michel Aoun, samedi dernier, à la chaîne égyptienne CBC et au quotidien al-Ahram, préalablement à sa visite officielle hier au Caire, rompent avec la prudence verbale qu’il avait observée depuis son élection sur les questions stratégiques, comme les armes du Hezbollah et son implication en Syrie. Le discours d’investiture avait ménagé l’une et l’autre partie interne, dont il a quasiment apposé les points de vue, à la manière d’un équilibriste : « Concernant le conflit avec Israël, nous n’épargnerons aucun effort ni aucune résistance afin de libérer ce qui reste comme territoires libanais occupés (…) », s’était-il contenté de dire sur l’arsenal du Hezbollah, en justifiant l’existence de ce dernier, mais sans le consacrer. « Nous traiterons avec le terrorisme d’une manière préventive, dissuasive et agressive jusqu’à son éradication », avait-il dit, ses mots pouvant s’appliquer aussi bien au Hezbollah qu’à l’armée. « Quant au projet de consolidation de l’armée et de développement de ses capacités, cela sera mon obsession et ma priorité, pour que l’armée devienne capable de dissuader tout genre d’agressions contre notre patrie (…) », avait-il affirmé : une déclaration de principe, accordant la primauté à l’institution militaire.

Ses récents propos aux médias égyptiens ont toutefois paru donner à ce discours d’investiture une interprétation favorable du Hezbollah.
« Tant que l’armée ne détient pas la force nécessaire pour faire face à Israël, nous sentons que les armes du Hezbollah sont nécessaires (…) et ne contredisent pas l’armée », a-t-il dit, défendant la complémentarité entre l’armée et la résistance, qui est aux fondements du fameux triptyque du Hezbollah.
C’est en outre en garant de cette complémentarité que s’est posé le chef de l’État, comme s’il se substituait au peuple dans ce triptyque. « Le fait que le Hezbollah n’utilise pas ses armes à l’intérieur du territoire n’est pas seulement une garantie donnée, mais elle est aussi un état de fait, le Hezbollah connaît les limites de l’utilisation des armes et nous lui faisons pleinement confiance », a-t-il ainsi déclaré. Ce faisant, le président Aoun a pris l’initiative de réintégrer au débat les questions d’ordre stratégique que tout l’esprit du compromis de la présidentielle avait mises en suspens, dans l’attente des solutions régionales. Cette initiative aurait peut-être été louable si elle s’était accompagnée d’un appel neutre au dialogue sur ces questions. Le fait est toutefois que le chef de l’État les a tranchées en faveur d’une partie politique au détriment d’une autre : il a accordé à la première « la pleine confiance » du peuple et affaibli en contrepartie la confiance portée à l’armée.
« Il s’agit non pas encore d’une dérive, mais d’un débordement vers le Hezbollah », constate à L’Orient-Le Jour un analyste régional, qui estime que le chef de l’État a comme perdu le sens de « la nuance » qui avait dicté son discours d’investiture. S’il cherche à tempérer son récent rapprochement envers les pays du Golfe, en « confortant » le Hezbollah, ses propos ont dépassé cette finalité présumée et risquent de semer de nouveau le doute entre Michel Aoun et l’Arabie saoudite, croit savoir une source en visite à Riyad.
Les réactions modérées du Futur et des Forces libanaises (FL) aux récentes positions du chef de l’État seraient d’ailleurs révélatrices de leur effet sur le pari qu’avaient fait « les nouveaux alliés » de Michel Aoun sur son recentrage.
Mais le courant du Futur et les FL n’auraient pas intérêt à dénoncer frontalement les propos du chef de l’État, le risque étant pour eux de faire aveu de leurs faux calculs et de se décrédibiliser aux yeux de leurs électeurs. Pour l’instant, des milieux proches des FL relativisent les propos de Baabda en les présentant comme « circonstanciels, un prélude à sa visite au Caire », ou encore comme « un passage obligé pour rattraper ses errements sur la loi électorale, lorsqu’il avait défendu la loi mixte ».
Pour leur part, les milieux du courant du Futur restent discrets sur la teneur du discours que doit prononcer aujourd’hui le Premier ministre, Saad Hariri, au BIEL, pour la 12e commémoration du 14 Février. Néanmoins, certains spéculent sur certains éléments de ce discours: un message à l’adresse des jeunes ; l’insistance sur la démocratie et le respect des institutions. Les allusions que M. Hariri pourraient faire aux positions de Michel Aoun et devraient se résumer en deux points: d’abord, un rappel indirect du contexte de la présidentielle (l’engagement, par souci de préserver le pays des retombées régionales, d’écarter du débat les questions litigieuses, jusqu’à nouvel ordre) ; ensuite, une déclaration de principe en faveur de l’armée.
Il se pourrait que M. Hariri réitère à cet égard la position du courant du Futur sur le monopole des armes. Parce qu’il lui faut aussi contrer le risque que le « glissement » de Michel Aoun ne se transforme en « dérive ». Il serait possible en effet que Baabda réponde à l’appel du secrétaire général, Hassan Nasrallah, d’examiner avec Damas un possible retour d’une partie des déplacés syriens vers leur territoire, et il se pourrait que sa réponse prenne la forme d’une visite officielle de Gebran Bassil en Syrie. Ce n’est pas un hasard si le parrain de l’alliance de Meerab, qui a catapulté le chef de l’État à son poste, Samir Geagea, a opposé hier une fin de non-recevoir à cette proposition du leader du Hezbollah.