L’agitation relative dans les coulisses de la politique qui a marqué le week-end pascal en vue de dégager un accord de principe sur les grandes lignes d’une nouvelle loi électorale a été couronnée par un nouvel échec et une averse de questions sur les scénarios à venir si le blocage devait se perpétuer.
Une nouvelle mouture (qui avait été soumise par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, au président de la Chambre, il y a près d’un mois) a circulé au cours des trois derniers jours pour être catégoriquement rejetée par la majorité des parties politiques, et à peine acceptée par le tandem Hezbollah-Amal. La proposition, qui consiste en un mixage entre le système majoritaire appliqué au caza (selon une variante de la proposition de loi dite orthodoxe, cumulée au principe de l’habilitation) et, au second tour, la proportionnelle, appliquée à 10 circonscriptions, a fait long feu. La nouvelle formule a été rejetée aussi bien par le PSP que par le courant du Futur, voire même par les Forces libanaises, dont le chef, Samir Geagea, qui a échangé furtivement ses impressions avec M. Bassil vendredi dernier à l’occasion de l’office de la passion du Christ à l’USEK, n’a vraisemblablement pas apprécié de « se voir imposer des projets en dernière minute », comme le rapporte notre chroniqueur Khalil Fleyhane.
Pour ce qui est du fond, les FL ont objecté au « système de l’habilitation », mais aussi au mixage entre habilitation, quotas communautaires et divisions régionales, « qui rend ainsi le comptage des voix au second tour difficile », comme l’a expliqué à la presse la secrétaire générale des FL, Chantal Sarkis.
Pour le bloc du Futur, qui avait déjà refusé la formule précédente de M. Bassil, qui s’inspire aussi de la loi dite orthodoxe (le vote par les électeurs pour leur communautés respectives), il est hors de question de se dérober à l’esprit de Taëf et la coexistence qui en découle. Cette position a été exprimée par le bloc lors de sa réunion hebdomadaire, hier.
L’ancien ministre Tarek Mitri a été, pour sa part, jusqu’à qualifier dans un tweet la nouvelle formule d’« apartheid libanais », dénonçant la mainmise des partis confessionnels sur leurs communautés respectives.
La propension de plus en plus déclarée du CPL, soutenu en cela par son allié FL, à faire vibrer la fibre communautaire au nom de la rectification de la représentation chrétienne et de leur droit sur l’échiquier politique, a culminé ces derniers jours par une vidéo que « des sympathisants » du courant ont fait circuler : dans la bande vidéo, qui a fait l’objet d’un tollé sur les médias sociaux, un parallélisme pour le moins forcé est établi entre la résurrection du Christ et la résurrection de la loi électorale proposée par M. Bassil, pavant ainsi la voie à la liberté…
Au CPL, on s’efforçait hier, il est vrai, de se laver les mains de Dette vidéo.
Case départ et valse…
Voulant toutefois éviter de jouer les trouble-fête, comme le souligne une source proche du courant haririen, et « afin de ne pas assumer la responsabilité d’un blocage qui proviendrait de sa part », le Premier ministre et chef du Futur, Saad Hariri, a accepté d’examiner les détails de la proposition pour finir par formuler une objection de forme portant sur le modèle de l’habilitation proposée : alors que Gebran Bassil insiste pour que seuls deux candidats soient habilités au premier tour pour chaque siège, le courant du Futur, rejoint en cela par le Hezbollah et Amal, a opté pour un élargissement de l’éventail de l’habilitation jusqu’à trois députés ou plus.
Le tandem chiite semble également avoir joué le jeu de la « conciliation » en acceptant d’examiner les détails d’un projet qui « ne leur convient pas en réalité », la nouvelle mouture n’assurant pas l’élection de leurs alliés (les Marada, le PSNS, etc.), comme le confirme un responsable du Hezbollah à L’OLJ.
Autre obstacle de taille, le fait que le nouveau projet risque fort de faire l’objet d’un recours en invalidation à cause de sa violation de la Constitution, comme le relèvent des sources concordantes. Le problème se pose notamment dans les cazas où les minorités communautaires se verraient totalement privées de participation au premier tour en l’absence de sièges attribués à leur communauté. C’est le cas notamment pour les sunnites du Koura, du Batroun, de Zghorta et de Beyrouth I (Achrafieh). C’est également le cas pour les chiites du Akkar, de Tripoli, du Metn ou du Kesrouan, ou encore les chrétiens de Tyr, de Bint Jbeil et de Nabatiyé. Bref, ce sont quelque 120 000 Libanais qui seront écartés du jeu au premier tour.
Retour donc à la case départ et à la valse de projets tant de fois rejetés, mais qui, étrangement, restent de mise dans l’esprit de certains protagonistes, en tous les cas dans leurs discours. C’est le cas du projet de loi présenté par le gouvernement Nagib Mikati et qui a été relancé ces derniers jours par M. Berry devant ses visiteurs. Ou encore, la loi de 1960 évoquée comme une solution plausible jeudi dernier par le patriarche maronite, mais dont les chances restent nulles puisqu’elle ne fait plus l’affaire d’aucune partie en présence.
De date butoir en date butoir, l’impasse persiste et les interrogations sur les issues se multiplient au fur et à mesure que l’on se rapproche de la date fatidique (encore une) du 15 mai, date de la réunion du Parlement qui attend de voir atterrir chez lui une loi électorale.
Entre-temps, les chefs de file réitèrent leur opposition aussi bien à la loi de 1960 qu’à la prorogation de la législature et au vide, mais aussi à toute formule de compromis qui puisse sortir les institutions de l’impasse. Une chose est sûre : le Conseil des ministres ne se réunira pas cette semaine, peut-être même la semaine prochaine non plus, tant qu’une loi électorale n’a pas été adoptée. Ce serait la demande qu’aurait formulée le chef de l’État, Michel Aoun, auprès du Premier ministre, Saad Hariri, qui semble avoir obtempéré.