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Les tensions régionales s’exacerbent au Liban

Sandra NOUJEIM 

D’une polémique ponctuelle – comme la reconduction du mandat du commandant en chef de l’armée, qui aurait été déjà tranchée, selon une source informée de la visite hier au Grand Sérail de l’ancien chef d’État Michel Sleiman – à l’autre, le pays est comme un bateau amarré qui tangue entre deux épontilles.

La première incarne la stabilité, un garde-fou qui reste la priorité des décideurs internationaux, Washington en tête. Sur la seconde se hissent alternativement des médiateurs étrangers, ou des acteurs locaux, avec leur pêle-mêle d’idées de déblocage institutionnel. La dernière médiation annoncée hier depuis le palais Bustros par l’ambassadeur d’Égypte sera celle du ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Chucri, qui arrive à Beyrouth mardi prochain. Il prévoit une tournée auprès du Premier ministre et du président de la Chambre, mais aussi auprès des chefs des principaux blocs parlementaires. À l’issue de sa rencontre avec le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, l’ambassadeur a ainsi déclaré avec optimisme que « cette visite portera des idées nouvelles relatives à la manière de traiter du dossier libanais, et constituera le début d’un changement ». Il l’a liée à la présidentielle, en précisant que l’enjeu est « d’apprêter la situation à l’élection d’un président, dont le Liban a besoin aujourd’hui plus qu’avant ».

Les espoirs ainsi exprimés devraient toutefois être ramenés à leur juste mesure, au regard de paramètres objectifs. D’abord, l’Égypte de Mohammad Abdel Fattah al-Sissi est aujourd’hui un pays de moins en moins crédible aux yeux de la communauté internationale. L’édition de The Economist de la semaine dernière titrait sur « la répression et l’incompétence de Sissi » . « Ce pays en ruine » pourrait connaître un nouveau soulèvement, a prévu l’hebdomadaire britannique. La médiation égyptienne souffrirait ainsi d’un manque de crédibilité occidentale. Et même si certains évoquent une visite coordonnée avec la France – l’acteur européen le plus permissif à l’égard des abus du président égyptien – ce soi-disant rôle attribué à la France ne dépasserait pas son appui de principe à toute initiative de déblocage au Liban, doublé de son réflexe de ménager le régime égyptien actuel.

Plaidoyer alarmiste
Lue à l’échelle régionale, l’initiative égyptienne paraît encore moins crédible. Les tensions entre Le Caire et Riyad, à peine contenues au niveau diplomatique, sous-tendent les dossiers du Yémen et surtout de la Syrie. L’abstention de Sissi de convier l’opposition syrienne au sommet de la Ligue arabe à Charm el-Cheikh avait confirmé les divergences entre l’Égypte et l’Arabie sur la politique régionale, en contrepartie d’une dynamique de rapprochement égypto-russe. L’initiative égyptienne au Liban aurait peu de chance de trouver un écho auprès de l’Arabie, et donc d’aboutir. À moins d’avoir pour but de faire ses marques au Liban, face à la passivité du royaume wahhabite.

Ce serait ignorer l’avis de sources informées de la politique du royaume, selon lequel ce dernier n’a pas renoncé à la carte libanaise, et continue d’entretenir des rapports avec des interlocuteurs locaux, notamment sunnites et chrétiens, qu’il juge à même de contrebalancer l’influence rampante du Hezbollah au Liban. Un observateur estime en outre que l’annonce répétée du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, d’une « présidentielle avant la fin de l’année » vient accompagner l’initiative égyptienne, face à une Arabie dont il n’aurait plus les faveurs.
Dans ce sens, si l’on retient l’avis selon lequel l’initiative égyptienne verserait dans le sens d’une solution globale, similaire au compromis national de 2009, elle servirait les appels du président de la Chambre, Nabih Berry, à une solution globale, placée comme condition au déblocage. Surtout que Moscou s’active à accélérer les négociations sur la Syrie : après la rencontre Poutine-Erdogan, le ministre russe des Affaires étrangères doit se rendre lundi prochain à Téhéran.

Pour l’heure, la conjoncture régionale, marquée par un conflit ouvert saoudo-iranien, ne paraît pas se prêter à un compromis au Liban.
Pourtant, le plaidoyer de Nabih Berry pour une solution globale devient de plus en plus alarmiste. Les milieux de Aïn el-Tiné mettent en garde désormais contre un glissement vers une « explosion globale qui anéantirait les restes de la structure étatique », si un compromis de déblocage n’est pas obtenu. Cette réorientation du débat politique vers un package deal serait, selon le PNL, un moyen de dédouaner les boycotteurs de leur responsabilité dans le vide présidentiel. Mais pour l’ancien député Farès Souhaid, il s’agirait de placer le 14 Mars devant l’équation suivante : « Sans solution d’ensemble, pas de président de la République. Sans président, plus de stabilité. »

Ces mises en garde, similaires à celles qui sous-tendent les discours de certains responsables du Hezbollah, pourraient annoncer de nouveaux incidents sécuritaires, ou un nouveau 7 mai, qui contraindrait les Libanais à « dépasser Taëf et adhérer à une nouvelle formule ». Néanmoins, de l’avis de plus d’un observateur, on n’en est pas (encore) là.