L’éditorial
En trente ans de règne le père avait, de sa main de fer, fait bye bye à non moins de six administrations américaines, tantôt accommodantes et tantôt hostiles, mais invariablement respectueuses du poids que revêt le facteur syrien dans une des régions les plus volatiles de la planète. Et bien que juché sur un trône devenu passablement branlant, bien que porté à bout de bras par ses sauveteurs russes et iraniens, son fils et successeur ne cache pas sa détermination à honorer, longtemps encore, la sombre tradition.
Il est évident, au départ, qu’en termes de longévité, les dictatures détiennent un avantage certain sur les démocraties. Qu’il s’agisse des dynasties nord-coréenne ou syrienne, de la Libye ou de Cuba, la recette demeure la même ; les ingrédients en sont les libertés publiques étouffées, les répressions brutales, les arrestations arbitraires et les plébiscites précuisinés. Une telle continuité politique ou idéologique ne sera jamais à la portée des démocraties, où les gouvernements sont constamment tenus de rendre compte de leurs actes, le corollaire étant l’alternance au pouvoir.
Pour Bachar el-Assad, c’est à point nommé que se trouve simultanément illustré, en deux lieux différents de l’Occident, ce phénomène de balancier. Aux États-Unis, dont le cirque de la présidentielle tient en haleine, tous les quatre ans, l’univers entier, Donald Trump, rompant avec le flou artistique qu’affectionnait son prédécesseur, va accorder la priorité à la lutte contre Daech, en étroite collaboration avec la Russie. En France, c’est la même option que retient le champion de la droite et du centre, François Fillon, grand favori dans la course à l’Élysée, qui rejette la ligne actuelle consistant à mettre dans le même et maléfique sac l’État islamique et le régime de Damas.
Singulier, quoi qu’il en soit, demeure le cas de cette Syrie dont les sanglantes convulsions mettent en jeu un aussi dense faisceau d’interférences extérieures. La Russie y défend, bec et ongles, son seul point d’ancrage en Méditerranée, mais aussi, assure-t-elle, la survie des populations chrétiennes d’Orient. Pour l’Iran chiite, la Syrie est le vaste portail par où s’engouffre son entreprise de grignotage d’un monde arabe en phase de décomposition avancée. À ce projet c’est en Syrie même, bien sûr, que les royaumes pétroliers sunnites s’efforcent de faire barrage en aidant les rebelles islamistes. Et la quête d’émancipation des Kurdes ne fait que rendre plus complexe encore le tableau.
À l’heure où les capitales occidentales se lamentent sur le tragique sort d’Alep, le régime syrien peut très bien après tout, après tant de morts, escompter faire de vieux os. Tout se passant en définitive comme si en cette première tranche de XXIe siècle placée sous le signe du dérèglement, c’est la règle du moindre mal qui devait désormais guider la politique des puissances. En lieu et place du meilleur des mondes, c’est seulement le moins mauvais, le moins hideux, le moins meurtrier et inhumain qu’il est réaliste d’espérer. Et encore, allez savoir si c’est bien le cas en Syrie !