Embarras, gêne, pudeur ou simple et naturelle circonspection ? N’était le tragique de la situation en Irak, on sourirait au spectacle des États-Unis et de l’Iran se donnant un mal de chien pour envisager publiquement une action concertée, hier encore impensable, face au déferlement des combattants jihadistes en Irak. Cela sans se hasarder une seule fois à appeler un chat un chat, à prononcer les mots tabous de coopération militaire.
C’est bien de cela qu’il est question pourtant, même si ce ne devait l’être qu’à titre seulement ponctuel. Mais on les comprend, allez : quatre décennies d’hostilité réciproque, cela ne s’efface pas d’un coup de torchon mais seulement par touches successives. De la présence simultanée aux commandes d’un Obama et d’un Rohani a déjà résulté un dialogue plutôt prometteur sur le dossier nucléaire iranien. Pour les dirigeants et le peuple de la République islamique le Grand Satan de jadis ne sent plus aussi fort le soufre, depuis que la perspective d’une levée des sanctions américaines répand des effluves de cheeseburger.
Washington ayant exclu toute intervention terrestre, Téhéran n’aurait donc qu’à se féliciter d’éventuelles frappes aériennes US visant un phénomène menaçant son protectorat irakien. Désengagée du bourbier irakien, l’Amérique doit encore se retirer d’Afghanistan en 2016 ; et pour éviter, cette fois encore, de laisser le chaos derrière elle, elle a besoin des bonnes dispositions de Téhéran. L’occasion est bonne, dès lors, pour la Maison-Blanche, de démontrer à ses détracteurs le bien-fondé d’un scabreux pari iranien dont les dividendes ne s’arrêtent guère au nucléaire.
Tous ces tortueux calculs ne manquent pas d’une certaine cohérence, une fois de plus. Ce qu’on a du mal à appréhender en revanche, c’est le fouillis de théories en cours sur les objectifs réels de la sinistre vedette du jour, Daech, comme des parties qui le financent, lui accordent un droit de transit ou le manipulent. En Syrie, l’émirat islamique transfrontalier ne s’est pas trop frotté aux troupes gouvernementales, préférant s’acharner surtout sur l’opposition démocratique représentée par l’infortunée Armée libre qui, quand il en était encore temps, s’est vu dénier par l’Occident un armement adéquat, de peur de voir celui-ci tomber en de mauvaises mains. Bien qu’il passe pour manger au râtelier des monarchies pétrolières arabes hostiles au régime de Damas, Daech aura, de la sorte, fait le jeu de Bachar el-Assad qui se pose en effet en rempart face à la barbarie fanatique et terroriste, même s’il use lui-même de méthodes non moins barbares contre sa propre population. Cette anomalie n’est guère la seule, au demeurant. En se proposant de sévir contre la déferlante islamiste, les États-Unis vont se retrouver – le temps d’une crise, du moins – du même côté de la barricade que l’Iran et en porte-à-faux–, sinon en confrontation, avec leurs vieux alliés du Golfe.
Un printemps arabe qui tourne à l’orage, un mirage démocratique pulvérisé par les fanatismes, un Moyen-Orient promis à l’éclatement, à l’émiettement, au fil de l’affrontement entre les deux branches de l’islam, le tout pour la plus grande tranquillité d’Israël : on n’en est plus, il est vrai, à une contradiction près.