Depuis la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, les événements semblent se précipiter dans la région. Un véritable ballet diplomatique se déroule depuis quelques jours entre les rencontres de Moscou, celles de Mascate et la tournée du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, au Liban, en Syrie et au Pakistan.
De la visite de M. Zarif au Liban, deux importants messages sont à retenir, d’abord l’équation à travers laquelle l’Iran voit le Liban et qui se résume comme suit : terre de résistance et espace de dialogue. En clair, cela signifie que le Hezbollah est un allié existentiel et en même temps que le règlement des problèmes au Liban doit se faire par le biais du dialogue. Cela signifie qu’il ne faut pas attendre de l’Iran la solution de la crise présidentielle puisque la gestion des questions libanaises internes est confiée au Hezbollah et à son chef.
Si, à partir du Liban, le ministre iranien des Affaires étrangères a adressé des invitations au dialogue à tous les pays voisins, et en particulier à l’Arabie saoudite, il sait parfaitement que l’heure de ce dialogue n’a pas encore sonné, pour la simple raison que les dirigeants saoudiens ne sont pas encore prêts et pensent pouvoir marquer des points contre l’Iran dans plusieurs arènes conflictuelles. Pourtant, la situation s’était quelque peu améliorée au cours des dernières semaines à la suite des discussions entre le vice-prince héritier saoudien, l’émir Mohammad ben Salmane, et le président russe Vladimir Poutine. Le dirigeant saoudien avait en effet accepté de rencontrer un haut représentant du régime syrien et d’envoyer à Moscou pour un dialogue intersyrien une délégation du Conseil national présidée par Khaled Khoja qui refusait jusque-là de se rendre en Russie. Aussitôt les milieux diplomatiques s’étaient emballés, parlant d’une réelle perspective de solution pour la crise syrienne.
Mais ce souffle d’optimisme a rapidement été balayé, car, selon des sources diplomatiques, les Saoudiens ont été très irrités et embarrassés par les fuites sur la visite du général syrien Ali Mamlouk à Djeddah, que ces fuites soient venues de Moscou ou de Damas. Elles étaient d’autant plus embarrassantes que les Saoudiens n’avaient pas mis leurs alliés dans la confidence. Ils ont donc commencé par nier l’information, avant de préciser que la rencontre s’est mal passée et que le prince Mohammad ben Salmane a exigé que la Syrie se détourne de l’Iran et renvoie les combattants du Hezbollah et ceux qui évoluent dans l’orbite iranienne chez eux.
Les sources diplomatiques précitées révèlent que cette rencontre a été critiquée au sein même de la famille royale où les rivalités sont nombreuses. Ainsi, l’héritier du trône, l’émir Mohammad ben Nayef (ministre de l’Intérieur), et son cousin l’émir Metaab, qui continue de diriger la garde royale, alors que Mohammad ben Salmane (qui est aussi ministre de la Défense) souhaite la placer sous son contrôle, auraient exprimé leur surprise au sujet de cette initiative inattendue. Ce qui a poussé le prince Mohammad ben Salmane à se rétracter en envoyant rapidement le ministre des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, à Moscou.
Au cours de la conférence de presse conjointe entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et son homologue saoudien, les profondes divergences entre les deux parties étaient claires, surtout lorsque M. al-Jubeir a insisté sur le fait que la position saoudienne n’a pas changé à l’égard de la Syrie et que le royaume wahhabite continue de croire que le président Bachar el-Assad n’a aucune place dans toute solution et même dans la période transitoire. Cela lui a valu une réponse cinglante de la part de son homologue russe qui a dit que c’est aux Syriens de décider de leur avenir et de la solution à la crise que leur pays traverse.
Les milieux diplomatiques précités affirment que cela ne signifie pas que les ponts sont coupés entre la Russie et l’Arabie. Au contraire, entre les deux pays, les relations économiques sont en train de se développer. Mais simplement, tant sur le plan interne saoudien que sur le plan régional, une solution négociée n’est pas encore mûre. Le bras de fer entre l’Arabie saoudite et l’Iran se poursuit sur la plupart des dossiers brûlants. Au Yémen, par exemple, il est de plus en plus question d’une large offensive terrestre par le nord-est du pays pour prendre en tenailles les houthis installés au Nord et en particulier dans la capitale Sanaa. La Russie avait déjà couvert l’intervention saoudienne au Yémen en n’opposant pas son veto à la résolution du Conseil de sécurité qui avait légitimé cette action. Riyad lui en a été reconnaissant et c’est dans la foulée de cette décision russe que l’émir Mohammad ben Salmane s’est rendu à Moscou.
Mais les relations restent complexes et les enjeux énormes. En Syrie, les contours de la solution sont devenus clairs, mais le terrain continue de dicter sa loi et c’est de lui que dépend le sort du président syrien Bachar el-Assad. Le Yémen continue de brûler et les combats y font rage, alors que les Saoudiens n’ont plus d’autre alternative que celle de se lancer dans une offensive terrestre.
De même au Liban, les positions restent très éloignées et le général Michel Aoun se lance dans une escalade politique et populaire avec l’appui du Hezbollah, alors que le courant du Futur refuse de faire la moindre concession. Les milieux diplomatiques précités estiment qu’il n’y aura pas de développement majeur avant l’adoption de l’accord sur le nucléaire par le Congrès américain et son entrée en vigueur effective.