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L’indépendance, annonce d’une longue attente ?

Sandra NOUJEIM 

La célébration de la fête de l’Indépendance aujourd’hui clôt le délai officieux de la première manche des négociations menées par le Premier ministre désigné, Saad Hariri, de concert avec le président de la République, Michel Aoun, pour former le nouveau gouvernement. Au lendemain de la réunion, mercredi dernier, entre les deux hommes à Baabda, les contacts menés entre les différentes parties ont été quasiment suspendus. Ce gel appelle plusieurs explications.

La raison déclarée est l’existence de certains verrous interconnectés au niveau de la répartition des portefeuilles. L’on en retiendra l’exemple illustratif du portefeuille des Travaux publics, qualifié de portefeuille important de service, objet de tractations entre trois parties. Les Forces libanaises (FL) l’ont réclamé dans leur quotepart de quatre portefeuilles, « définitive et indiscutable », pour compenser leur demande inaboutie d’un portefeuille régalien. Les Marada, fixés dès le départ sur l’obtention d’un ministère de service consistant, parce qu’ayant frôlé de près la magistrature suprême, ont dû renoncer à toute velléité d’obtenir l’Énergie (qui leur est refusé par le CPL) et les Télécommunications (souhaités par le courant du Futur), et se réorienter subséquemment vers les Travaux publics. Le président de la Chambre, Nabih Berry, en réaction aux ambitions ministérielles des FL, et l’argument de la rotation invoqué contre lui par plus d’une partie, s’agrippe à ce ministère avec la même ténacité qu’il attache au ministère des Finances. Il aurait d’ailleurs informé Saad Hariri que la quotepart chiite sera de cinq portefeuilles (y compris celui qui relèverait du président de la République).
A première vue, l’on peut se dire que ce schéma est apte à se débloquer par une concession ponctuelle, relativement supportable, par l’une ou l’autre partie, qui servirait le plus grand enjeu: celui de mettre en marche au plus vite le cabinet Hariri, et surtout le mandat Aoun.
Le retard mis au décollage aurait pour raison principale l’imprécision des rapports de force censés dicter la gestion du pouvoir. La tendance actuelle des milieux politiques est d’évoquer – peut-être hâtivement – « l’intimidation » du tandem chiite face à l’alliance interchrétienne (CPL-FL) et la probabilité que s’y rallie le Courant du Futur. Un avis qui ne peut que flatter les FL: les milieux de ce parti assuraient d’ailleurs hier en substance que même si tout était concédé à Nabih Berry, il y trouvera toujours à redire, ses objectifs étant autres que le départage ministériel.
Selon cet avis sur un soi-disant début d’isolation du Hezbollah (pris de court par le double appui Hariri et Geagea à Michel Aoun), la première tactique entreprise par le parti chiite aura été de tâter le terrain depuis la désignation de Saad Hariri, en envoyant des « messages » aux différents protagonistes locaux: outre la manifestation militaire de Qousseir, qui viserait notamment le président de la République, ou encore la parade de Jahiliyé, des messages sont renvoyés simultanément, dans le processus de formation du gouvernement, par le biais de Nabih Berry. En plus de tenir tête aux demandes ministérielles des FL, ce dernier aurait cherché en même temps à titiller le ministre Gebran Bassil en balançant en cours de route, à titre d’exemple, l’idée de confier les Affaires étrangères à Meerab…
Dans cette suite, les échanges à fleurets mouchetés hier entre Saad Hariri et Nabih Berry, à la suite de la visite du premier à Baabda, pourraient présager d’un freinage de la formation du cabinet.
Certains milieux du 8 Mars, cités par notre correspondante Hoda Chedid, affirment qu’il « n’y aura plus de nouveau délai pour la formation du cabinet, laquelle risque d’attendre plusieurs mois… peut-être jusqu’aux prochaines législatives ». Il y a une semaine déjà, pareille hypothèse était discrètement évoquée par ces mêmes milieux, qui reprochent aux FL (et implicitement à leurs alliés) de vouloir bloquer le cabinet pour maintenir la loi de 1960 jusqu’aux prochaines législatives.
En formulant hier cette hypothèse explicitement en réponse à Saad Hariri (et à son allusion aux « parties responsables du blocage » ), Nabih Berry a comme brandi la menace d’un blocage durable de la formation du cabinet.
Toutefois, l’ambiance hier à la Maison du Centre a comme marqué une parenthèse de détente, un éventail de personnalités de tous bords s’étant réunies en l’honneur de l’émissaire du roi d’Arabie, le prince Khaled el-Fayçal. Parmi celles-ci, le ministre sortant des Finances Ali Hassan Khalil, représentant le président de la Chambre, assis à la table d’honneur entre Saad Hariri d’un côté, et Samir Geagea de l’autre. Un instantané qui contraste avec le règne actuel des alliances bilatérales hermétiques, et qui rappelle surtout le rôle vital de Nabih Berry pour le Hezbollah.
Parce que dire que le parti chiite subit une forme de mise à l’écart interne serait ignorer plus d’un facteur, qu’il reste à scruter: l’alliance CPL-Hezbollah qui, même si elle ne s’exhibe pas comme l’alliance FL-CPL, pourrait fortement agir de manière insidieuse. L’on peut se demander pourquoi l’enthousiasme du Courant du Futur d’user jusqu’au bout des prérogatives constitutionnelles du président de la République et du Premier ministre de former unilatéralement le cabinet est resté sans suite. L’on se demande aussi pourquoi les milieux aounistes avaient estimé que le cabinet Hariri ne sera pas le premier cabinet sous le mandat Aoun. Ou encore pourquoi le chef de l’État a suspendu sa visite en Arabie à la condition de la formation du cabinet Hariri.
Le message de Ryad au Liban formulé à la Maison du centre hier, selon lequel le Liban n’est pas un terrain de confrontation arabe mais d’entente, est le plus apte à résumer la situation actuelle: celle de l’attentisme, du statu quo, dont l’avenir serait tributaire des développements régionaux et internationaux et de leurs retombées sur le Hezbollah.
En attendant, le discours de l’indépendance reste axé sur la capacité de l’armée à protéger les frontières du Liban, si toutefois nous lui en donnons les moyens, comme l’a déclaré hier le président de la République dans son premier discours du 22 novembre.