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L’initiative Berry sacrifiée sur l’autel d’une recrudescence du bras de fer irano-saoudien

 

Philippe Abi-Akl

Les trois séances de dialogue, dont le coup d’envoi sera donné aujourd’hui, à Aïn el-Tiné, ne donneront probablement aucun résultat concret. C’est du moins l’impression des différentes parties politiques avant même le début de l’événement, quand bien même le père de l’initiative, le président de la Chambre Nabih Berry, a effectué les contacts nécessaires avec l’ensemble des parties concernées – notamment le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et le chef du courant du Futur, Saad Hariri – pour en garantir le succès.
Rien, cependant, ne laisse présager de démarches positives à même de débloquer la situation, à commencer par l’échéance présidentielle, et ce pour une multitude de facteurs :
D’abord, à la veille du dialogue, le patron du Hezbollah a lancé une série de positions politiques locales et régionales qui laissent penser que les séances de dialogue n’auront aucun résultat. Si bien que, pour certains observateurs, Hassan Nasrallah aurait d’ores et déjà enterré le dialogue avant même qu’il ne débute. Les propos du secrétaire général du parti chiite étaient dénués de toute allusion à l’élection présidentielle, et le timing du discours était étrange, dans la mesure où il aurait pu être reporté de quelques jours pour ne pas laisser de traces négatives sur le dialogue. Au contraire, son attaque ciblée contre l’Arabie saoudite semblait plutôt annoncer l’impossibilité d’une entente irano-saoudienne, à l’ombre d’une recrudescence du conflit yéménite. Si bien que rien n’a laissé entrevoir le moindre espoir d’éclaircie entre Téhéran et Riyad, éclaircie potentielle sur laquelle comptait toutefois Rabieh et qui aurait pu contribuer à un déblocage éventuel de la présidentielle, l’Arabie apportant alors – et, partant, Saad Hariri – son soutien à la candidature de Michel Aoun. Dans la réalité, les positions exprimées par Hassan Nasrallah vendredi reflètent une décision iranienne de ne pas délivrer l’échéance présidentielle de ses chaînes et de préserver l’élection comme une carte de négociations avec l’administration de Barack Obama ou de son successeur.
Dans son allocution, le leader du Hezbollah a souligné le rattachement de la crise libanaise aux crises régionales, notamment syrienne, dans une démarche visant à répondre aux tentatives régionales et internationales de séparer les volets. Des démarches qui ont, du reste, failli aboutir à des résultats positifs n’était l’attachement de Téhéran à s’accaparer la carte libanaise et à persister dans son blocage. La charge de Hassan Nasrallah contre Riyad sonnait par ailleurs le glas de toute tentative de rapprochement intérieur, tant le Hezbollah sait les effets de ce genre de positions sur Saad Hariri, contraint de réagir au quart de tour pour défendre le royaume contre les accusations du camp pro-iranien.
Mais le patron du Hezbollah n’assume pas seul la responsabilité des attentes mitigées relatives aux séances de dialogue. Les dernières prises de position de Saad Hariri, y compris lors de sa réunion avec Nabih Berry à Aïn el-Tiné, ont été pour le chef du courant du Futur l’occasion de réaffirmer son refus de l’idée du package deal, latente à l’ensemble de l’initiative Berry. Pour M. Hariri, la présidentielle reste l’entrée en matière pour résoudre tous les dossiers, suite à quoi, il serait possible de plancher sur chaque problème, l’un après l’autre. L’ancien Premier ministre a par ailleurs clairement signifié qu’il était contre toute atteinte à l’accord de Taëf, soulignant que tout amendement à ce texte constituerait une aventure à même de jeter les bases d’une nouvelle guerre civile et de torpiller tous les concepts, les ententes et les équations en présence. Saad Hariri a en outre ouvertement pris position contre tout projet de Constituante, réaffirmant qu’il soutenait la candidature du député Sleiman Frangié et qu’il ne l’échangerait pas contre un soutien à celle de Michel Aoun.
La situation régionale non plus n’a pas arrangé les choses, avec l’escalade au Yémen, l’échec des négociations au Koweït et le retour de la délégation du régime à Sanaa. En Syrie, le blocus d’Alep et la contre-attaque de l’opposition ont créé une nouvelle donne sur le terrain. Tous les éléments sont donc pour le maintien de la crise et l’émergence d’une tension à la veille du dialogue.
Statu quo et stérilité, sans perspectives de percées, pour les trois jours à venir. Et après ? Nabih Berry pourrait en ressortir amer, estimant qu’il a été pris pour cible et que son initiative a été torpillée. Le dialogue serait aussitôt suspendu, en attendant des jours meilleurs, tant sur le plan local que régional.