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L’itinéraire de Bkerké à Baabda, en passant par Rabieh, Paris, Rome et… le « Daechistan »

Élie FAYAD

Les hauts faits d’armes des jihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL ou « Daech ») dans le nord de l’Irak devront, semble-t-il, avoir au moins une conséquence heureuse à court terme : ramener sur terre un certain nombre d’acteurs politiques libanais de façon à accélérer le processus d’élection d’un président de la République.
Une source diplomatique, qui avance cette hypothèse, estime en effet que les partenaires libanais devraient normalement s’inquiéter sérieusement des développements dramatiques survenus ces derniers jours dans la région, en tout cas assez pour essayer de redonner vie à leurs institutions moribondes, à commencer par la présidence.
D’ores et déjà on évoque, par exemple, dans certains milieux le cas où le Liban aurait besoin de réunir son Conseil supérieur de défense, seule instance habilitée à prendre les décisions qui s’imposent dans une situation de conflit militaire. Or cette instance ne peut être convoquée que par le président de la République. Mais qu’advient-il de cette prérogative dès lors qu’il y a vacance de la première magistrature ? Le Conseil des ministres peut-il l’exercer dans le cadre de l’intérim qu’il assure actuellement ? La question reste pour l’heure sans réponse, mais l’exemple montre clairement, à travers ce qui pourrait devenir un nouveau casse-tête constitutionnel, l’un des risques que la vacance présidentielle fait planer sur le pays.
Toujours est-il que l’accélération espérée du processus électoral ne se fait pas encore sentir. Sauf imprévu, la séance parlementaire convoquée par Nabih Berry pour après-demain mercredi 18 juin afin d’élire un président devrait connaître le sort des précédentes réunions, non tenues (à l’exception de la première) pour défaut de quorum. Il devrait en être de même, en principe, pour la séance du lendemain, consacrée à la grille des salaires.
Il est pourtant vrai qu’un frémissement, ou peut-être même un peu plus, a pu être observé ces jours derniers dans les positions du tandem chiite au sujet de la présidentielle. Vendredi, Hani Kobeissi, député proche du président de la Chambre, déclarait sans ambages que l’initiative lancée quelques jours plus tôt par Samir Geagea constituait un bon prélude à la solution, à condition que « tout le monde la prenne au sérieux » et que certaines parties « acceptent de faire des concessions ».
Le chef des Forces libanaises avait proposé au général Michel Aoun notamment de s’entendre avec lui sur deux autres candidats acceptables.
Samedi, le secrétaire général adjoint du Hezbollah a tenu des propos certes plus ambigus que ceux de M. Kobeissi, mais qui n’en reflètent pas moins un changement de tonalité dans la position du parti.
« Il est devenu clair que la polarisation politique extrême empêche l’élection d’un président, a-t-il déclaré lors d’une cérémonie. Le 8 Mars n’est pas capable d’imposer un candidat, pas plus que le 14 Mars et ceux qui se disent au centre. Si chaque camp continue à s’obstiner, cela risque de prolonger la durée de la vacance présidentielle. Le consensus est donc nécessaire. »
Mais ces déclarations ne tranchent pas avec ce que disait précédemment le Hezb, ce dernier n’ayant à aucun moment cité nommément le chef du CPL comme étant son candidat. À la base, la posture du général Aoun, qui revendique la qualité de « candidat d’entente », n’autorise-t-elle pas toutes les ambiguïtés ?
Il reste que la tonalité de cheikh Kassem se rapproche de ce qu’on entend ces jours-ci dans les rangs centristes. Le ministre de la Santé, Waël Abou Faour, soulignait ainsi hier que l’heure était venue de « mettre fin à la danse au bord du précipice » et d’« aller au-delà des options radicales pour parvenir à un président consensuel ».
La question qui se pose à l’heure actuelle est de savoir comment faire pour atteindre cet objectif. On en saura certainement davantage dès ce soir, avec un rendez-vous prévu du général Aoun avec la presse. La semaine qui commence verra, en outre, des concertations accrues, notamment à Paris, où Saad Hariri doit en principe recevoir le chef du PSP, Walid Joumblatt.
Puis, en fin de semaine, la réunion de Rome, qui doit regrouper les représentants de plusieurs pays donateurs et membres du Groupe de soutien au Liban dans le cadre des efforts internationaux pour renforcer l’armée libanaise, sera aussi l’occasion d’échanges sur le dossier de la présidentielle.
Cependant, sur le plan local, l’attention des observateurs reste rivée sur Bkerké, dont on attend une initiative visant à mettre les leaderships maronites devant leurs responsabilités historiques, dans la mesure où la balle est toujours dans leur camp, du moins en apparence.
Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, dénonce chaque jour l’absence de scrupules des parties qui font échec aux séances électorales de la Chambre, mais il se refuse, à ce stade, à aller plus loin et à cibler davantage ses accusations.
Ira-t-il jusqu’à prendre possession du processus pour le diriger lui-même, quitte à risquer un échec, comme son prédécesseur il y a plus de six ans ? Nombre d’acteurs l’invitent à le faire, mais il n’est pas dit qu’il y consentira.