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Loi électorale : les risques que prend Baabda…

Sandra NOUJEIM

Le président de la République, le général Michel Aoun, a pris la semaine dernière deux positions précises sur la loi électorale. Recevant les vœux du corps diplomatique mardi dernier, il a lancé une pointe en direction de ceux qui craignent la proportionnelle, en disant que « certains pourraient y perdre des sièges, mais nous aurons gagné la stabilité du pays ». S’exprimant le lendemain devant une délégation des présidents de municipalité et moukhtars du Kesrouan, accompagnée de l’ancien chef des commandos de l’armée Chamel Roukoz, le chef de l’État s’est dit convaincu que les partis sont plus aptes que les individus à gérer la vie publique et a « encouragé le vote pour les premiers, non les seconds ».

Expert en droit constitutionnel et administratif, l’ancien ministre Hassan Rifaï conteste la constitutionnalité de la démarche du chef de l’État, aussi bien sur la forme que sur le fond, sous un angle juridique. M. Rifaï commence par rappeler qu’en vertu du régime parlementaire qui régit les institutions au Liban, le président de la République n’est « pas responsable » des actes de l’exécutif devant le Parlement, et ne peut en conséquence « prendre des décisions unilatérales qui engageraient sa responsabilité ». « Le pouvoir de décision appartient donc exclusivement au Conseil des ministres, et cela a toujours été le cas d’ailleurs, même avant Taëf », ajoute-t-il.

Cela n’exclut pas l’exercice par le chef de l’État d’une influence sur la politique du gouvernement, mais cette influence « doit toujours se faire de l’intérieur, sous forme de directives formulées en Conseil des ministres, ou au ministre concerné qu’il choisirait de convoquer individuellement à Baabda ».
Il appartient ainsi au chef de l’État d’« orienter le gouvernement sur une question donnée », mais sa démarche obéit à deux règles strictes : d’abord, son avis est « non contraignant » ; ensuite, « il n’a absolument pas le droit de se prononcer publiquement, c’est-à-dire de faire entendre officiellement son avis, sur une question qui relève à la base des compétences du Conseil des ministres ». L’objectif en serait d’éviter que « le chef de l’État n’empiète sur les compétences du gouvernement, en anticipant ses décisions ». On rappellera à cet égard que les compétences du gouvernement incluent les fameuses « questions fondamentales » strictement énumérées par la Constitution, qui comprennent l’élaboration d’un projet de loi électorale. Cette répartition des attributs entre le chef de l’État et le cabinet accorde au premier le rôle fondamental – qui prime sur les prérogatives des autres institutions – de « veiller au respect de la Constitution ». Il en résulte que la teneur des discours officiels du président doit se restreindre à celle du texte constitutionnel. « Il ne peut se prononcer que sur des sujets d’ordre général, mais seulement pour rapporter ce qu’en dit la Constitution, et pour souligner l’obligation pour toutes les parties de respecter les principes constitutionnels sur lesquels il a prêté serment. Il pourrait par exemple recourir à une formule telle que “la Constitution énonce”, avant de se prononcer sur un dossier d’actualité », explique-t-il. Autrement dit, le chef de l’État s’exprime au nom de la Constitution, jamais en son nom propre. Il est comme le porte-parole de la Loi fondamentale.

Président « bagarreur »

En prenant position publiquement sur la loi électorale, comme il l’a fait récemment, le président aurait failli à cette obligation en favorisant une position (sur la proportionnelle) non prévue par la Constitution. En outre, ses incitations à voter pour les partis et non pour les individus contreviendraient au principe de l’égalité, selon l’avis de M. Rifaï. Catégorique, il relève « une violation de la Constitution par le chef de l’État, qui peut engager sa responsabilité rien moins que sur la base de l’article 60 de la Loi fondamentale ». Cet article prévoit deux cas limitatifs de responsabilités liées à des actes de la fonction du président : la violation de la Constitution et la haute trahison, le Parlement pouvant alors mettre en accusation le président par un vote aux deux tiers.

(Lire aussi : Machnouk entame les préparatifs des élections, sur la base de la loi en vigueur)

« Outre le respect de la Constitution, il est un autre élément, d’ordre moral, qui devrait dissuader le président de la République de prendre des positions non énoncées par la Constitution : le risque d’être discrédité par une prise de décision contraire », surtout que son avis n’est pas contraignant. C’est ce risque qu’a encouru le chef de l’État en prenant officiellement position sur la loi électorale. Une éventuelle approbation par le cabinet d’un projet de loi contraire aux aspirations présidentielles déclarées le désavouerait.

Mais le fait qu’il ait pris ce risque pose plusieurs questions d’ordre politique : soit qu’il est certain que la proportionnelle serait au final approuvée – une hypothèse qui semble pour l’heure improbable, à moins qu’un forcing ne soit sérieusement envisagé (jusque-là le Courant patriotique libre a été le seul à menacer d’une escalade dans ce sens) –, soit qu’il entend faire pression sur le Conseil des ministres, et par ce biais, sur le Premier ministre Saad Hariri, de manière à justifier une éventuelle prise de distance à son égard s’il venait à adopter un projet de loi n’incluant pas la proportionnelle. D’ailleurs, des milieux du CPL confient à L’OLJ que la loi électorale sera « un test des rapports avec le courant du Futur ».

Ces deux cas de figure appuient la lecture juridique de M. Rifaï, pour qui les positions du président sur la loi électorale s’inscrivent dans le cadre d’une action qui n’est « pas celle d’un président de la République, mais d’un président de parti ». En outre, il n’aurait pas agi comme président fort, mais comme président « bagarreur ». Parce que « la force du chef de l’État réside dans sa capacité à mettre en œuvre la Constitution, et non à prendre part aux conflits en cours entre les parties », explique M. Rifaï. D’ailleurs, après Taëf, la propension du président à donner son avis sur l’actualité avait marqué le mandat d’Élias Hraoui, sur incitation du régime syrien, soucieux de le discréditer en lui donnant l’aura d’un président prétendument fort.

Du reste, si le président souhaite veiller à l’approbation d’une loi électorale juste et représentative, il dispose à cette fin de plus d’un moyen constitutionnel, comme celui de s’abstenir, le cas échéant, de transmettre à la Chambre le projet de loi qui lui serait soumis par le gouvernement et le renvoyer à ce dernier pour réexamen.