IMLebanon

Un discours qui en cache un autre

 

La situation

Sandra NOUJEIM

La phase de transition vers des solutions politiques, souhaitée par l’Iran, conduit le Hezbollah à une attitude paradoxale, à la fois passive et active, vis-à-vis de son allié chrétien : en laissant faire le Courant patriotique libre (CPL) – présomption politique de bon sens –, il garde une apparence de loyauté, accentuée hier par le secrétaire général du Hezbollah. Et en gardant l’alliance intacte, il se prépare d’un seul coup à faire face à deux scénarios contradictoires.

Le premier scénario serait l’isolation politique progressive du leader du CPL, accompagnant la fin de la moumana’a, dont Damas semble devenir le dernier porte-voix.
L’attente que prennent fin les réflexes antérieurs à l’accord sur le nucléaire – avec lesquels la diplomatie iranienne tranche déjà subtilement – pourrait expliquer les « réticences » actuelles à relancer le travail de l’exécutif et à faire fi d’un éventuel retrait des ministres aounistes. Un retrait avec lequel le Hezbollah promet de se solidariser – sans être sûr de tenir cette promesse. Ainsi, Hassan Nasrallah a veillé hier à évoquer seulement « la possibilité » pour son parti de se solidariser dans la rue avec son allié chrétien. Une solidarité « tempérée » qu’il a aussi exprimée sur la présidentielle. « Le général Aoun est un passage obligé pour la présidentielle », selon le numéro un du parti chiite. Ce qu’il faut comprendre, selon des sources concordantes, comme « une renonciation implicite à la candidature du général Aoun à la présidence, appuyée néanmoins d’une reconnaissance de son rôle incontournable pour la trancher ».

Pour le ministre Nabil de Freige, interrogé hier par L’Orient-Le Jour, « il est clair que Hassan Nasrallah a baissé le ton d’un cran ». Ce qui confirme la lecture qui avait été faite de la polémique tendue entre Aïn el-Tiné et Rabieh, annonçant d’ores et déjà un abandon, par le 8 Mars, de la candidature de son allié. Des sources concordantes du 8 et du 14 Mars révèlent que la réunion entre le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, « a été mauvaise et sans résultats ». Cette réunion en début de semaine avait tenté, en vain, un assainissement politique des rapports entre Nabih Berry et Michel Aoun, la relance des institutions et une issue « technique » à l’échéance du versement des salaires des fonctionnaires, que bloque la paralysie de l’exécutif.
Mais il est un second scénario qui, au lieu d’isoler le CPL, l’instrumentalise : ce scénario, contre lequel a mis en garde hier l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, consiste à laisser faire l’escalade aouniste jusqu’à provoquer une confrontation entre le CPL et le Futur, c’est-à-dire entre chrétiens et sunnites.
Dans une série de tweets en réponse au discours de Hassan Nasrallah, le leader du Futur a dénoncé hier « l’insistance à faire assumer au courant du Futur la responsabilité d’une crise à laquelle le Hezbollah contribue ». Et cette participation active du Hezbollah dans l’escalade aouniste serait, selon lui, doublée de rumeurs que le parti chiite fabriquerait lui-même sur l’isolement de son allié.
« D’aucuns affirment qu’une certaine partie voudrait mettre à l’écart le général (Michel) Aoun. Ceci est un mensonge qu’ils inventent de toutes pièces et auquel ils croient, se permettant ainsi de s’attaquer au courant du Futur », a-t-il affirmé.
Cette prise de conscience du Futur fait suite notamment aux slogans d’une particulière virulence qui avaient parsemé la manifestation du CPL mercredi. « Ces slogans n’étaient certes pas anodins », confirme le député Ahmad Fatfat à L’OLJ. Trahissant une volonté du parti chiite de mettre en face à face le CPL et le Futur, le ministre Hussein Hajj Hassan avait d’ailleurs relancé, en Conseil des ministres jeudi, et « pour la quatrième fois », selon une source autorisée, l’appel au Futur à dialoguer avec le CPL.

Vacillant entre le laisser-faire et « l’incitation à la haine », dénoncée par Saad Hariri, le Hezbollah trahit la dualité de la position iranienne : l’impératif est de préserver la stabilité au Liban, mais aussi d’y maintenir une carte de pression, relève un observateur. Or, en poussant vers une confrontation sunnite-chrétienne, le Hezbollah se préserve d’une confrontation sunnite-chiite, dont il n’a pas les moyens (présence des réfugiés syriens oblige). Surtout, il se positionne ainsi en médiateur éventuel du conflit.
Mais le secrétaire général du Futur, Ahmad Hariri, en tournée hier dans la Békaa-Ouest, a apporté une nuance à cette lecture. Dénoncant en substance l’incitation vaine à une confrontation confessionnelle, il s’est interrogé, subsidiairement, sur les rapports entre Téhéran et le Hezbollah. « Alors que d’aucuns récoltent les fruits du nucléaire, ce sont les cercueils (des combattants du Hezbollah en Syrie) que le Liban reçoit », a-t-il fait remarquer.

Cette nuance fait écho à une lecture particulière de la situation, que dresse une source autorisée du Futur : « Il y a l’impression qu’en laissant faire le blocage, on veut conduire le pays vers un sentiment de nécessité absolue d’instaurer un régime militaire. » Et cette dynamique serait entretenue non pas par des acteurs internes, mais par les acteurs régionaux, saoudien et iranien. Parce qu’un régime militaire serait « le seul moyen de démilitariser le Hezbollah sous le parrainage de Téhéran », selon cette source. Ce qui expliquerait la vague actuelle de solidarité avec l’armée, « présentée comme salvatrice », qu’est venue renforcer la rencontre, hautement symbolique, à Beyrouth, entre le chef de la diplomatie iranienne et le ministre de la Défense, mercredi dernier, à l’hôtel où logeait Mohammad Javad Zarif, dans une rupture de tous les usages protocolaires.