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Joumblatt à « L’OLJ » : Je m’oppose au piratage officiel et organisé de nos ressources pétrolières

Sandra NOUJEIM

La nature du redressement économique et de la lutte contre la corruption – cheval de bataille du nouveau régime– a dévoilé hier, lors du premier Conseil des ministres après le vote de confiance, des dessous qui laissent plus d’une partie « inquiètes » d’une possible mainmise de « Baabda et de ses alliés » sur les dossiers vitaux, sous la houlette du Premier ministre – mais aussi, peut-être, à son détriment.
Le Rassemblement démocratique a été seul hier à se démarquer ouvertement du zèle mis à entériner deux décrets visant à mettre sur les rails l’exploitation des gisements gazo-pétroliers (voir aussi page 8).
Le député Walid Joumblatt n’y va pas par quatre chemins pour expliquer à L’Orient-Le Jour les raisons pour lesquelles ses deux ministres se sont opposés à ces deux décrets. « Les ministres du Rassemblement ont voté contre ce genre de racket, de piratage organisé et officiel de nos ressources gazo-pétrolières », dit-il. Il dénonce « un vol » entériné par « la majorité des partis politiques ».
Il explique en effet que le Conseil des ministres a court-circuité une étape essentielle pour laquelle le leader du PSP dit pourtant avoir plaidé auprès des parties concernées : « La création d’un fonds souverain national alimenté par les rentrées de l’exploitation des ressources maritimes et la création d’une société nationale qui décide de l’exploitation. » Il explique que c’est ce mécanisme qui a été adopté dans les pays du Golfe (il donne l’exemple de la société Aramco, nationalisée par le roi Fayçal), et cite Sonathrac en Algérie ainsi que l’Iraq Petroleum Company.
Qui plus est, à défaut d’un fonds souverain et d’une société nationale, la compétence de gérer les richesses pétrolières « relève désormais entièrement et exclusivement du ministre concerné, c’est-à-dire le ministère de l’Énergie. Autrement dit, le ministre seul se substitue à la société nationale dans toute prise de décision en la matière », explique M. Joumblatt, dénonçant cette « escroquerie flagrante, indépendamment de la partie politique dont relève le ministère en question ». « Tous sans exception y sont impliqués et ont accepté de déléguer au ministère de l’Énergie les pleins pouvoirs dans la gestion des ressources gazo-pétrolières, abandonnant l’idée d’un fonds souverain et d’une société nationale d’exploitation. »
Pour le leader druze, « il semble que le marché ait été conclu bien avant l’élection présidentielle et la formation du gouvernement ».
Pour ce qui est de la décision de relever Abdel Menhem Youssef de ses deux fonctions de PDG d’Ogero et de directeur général de la maintenance au ministère des Télécoms, M. Joumblatt souligne : « Si l’on admet qu’une partie du pouvoir politique s’est démarquée de lui aujourd’hui, j’ajouterai que cela fait partie du marchandage, c’est-à-dire les télécommunications en contrepartie du pétrole. »

Les effets des accords Hariri-Aoun
Le député Ghazi Youssef n’est pas loin de ce son de cloche. Sans aller jusqu’à faire le lien entre le dossier du pétrole et celui des télécommunications, il affirme à L’Orient-Le Jour que les deux ont fait l’objet d’accords politiques préalables à l’élection du président Michel Aoun. Des accords qui, pour l’heure, semblent pencher en faveur de Baabda « et de ses alliés ».
Pour ce qui est du pétrole, M. Youssef fait état d’un accord « entre les trois grands décideurs actuels : le bloc aouniste et ses alliés, le courant du Futur et le mouvement Amal ». Il peine à y voir toutefois, pour l’heure, quelque gain pour le camp haririen.
Il retient au moins trois points « non élucidés », qui recoupent en partie les critiques de Walid Joumblatt. Il estime que l’approbation des décrets en Conseil des ministres aurait dû être précédée par des étapes nécessaires à la marche « transparente » du secteur. Des étapes qui toutefois ont été « délibérément outrepassées ».
Il aurait fallu, en premier lieu, amender la loi votée en 2010 sur l’exploitation des ressources pétrolières maritimes, « de manière à prévoir la création d’un fonds souverain ». Ce fonds relèverait du Trésor et serait alimenté par les rentrées du secteur et géré par le Conseil des ministres réuni.
En second lieu, il aurait été nécessaire d’approuver une loi fiscale adaptée au secteur pétrolier, sans quoi les sociétés « les plus sérieuses » seraient dissuadées de prendre part aux adjudications faute de confiance.
La troisième faille tout aussi « dangereuse » est l’absence jusqu’à ce jour d’un « comité indépendant » qui supervise et régule entre autres la répartition des blocs ainsi que les adjudications préalables à leur exploitation (y compris l’élaboration des cahiers des charges relatifs à un bloc particulier, ou encore le choix éventuel des sociétés d’exploitation). « L’instance prévue actuellement par la loi en vigueur n’a qu’un pouvoir consultatif non contraignant auprès du ministre de l’Énergie », explique Ghazi Youssef. Certes, le ministre est tenu de présenter l’avis de cette instance en Conseil des ministres, mais a pleine compétence à y apposer un avis contraire qui serait le sien. Qui plus est, c’est au ministre seul de soumettre au cabinet les avis relatifs à une question relative aux forages : s’il s’abstient de le faire – par crainte que son avis ne soit pas pris en compte par exemple – le mécanisme d’adjudications s’en trouverait bloqué, ajoute-t-il en substance. En termes pratiques, « les sociétés intéressées par les adjudications seraient vraisemblablement portées à ménager le ministre en question, ou tout groupe politique ayant un avis prédominant au niveau de la procédure ».

Au prix de la transparence
La « précipitation » s’est donc faite au prix de la « transparence ». Et Ghazi Youssef de rappeler, à cet égard, que les appels les plus pressants à approuver les décrets nécessaires à l’exploitation des ressources gazo-pétrolières étaient motivés par l’impératif de « résister urgemment aux convoitises d’Israël » et de « lutter contre l’ennemi »…
Les gagnants les plus manifestes d’hier seraient donc le ministre de l’Énergie et le tandem chiite.
L’autre « accord » ayant abouti au limogeage de Abdel Menhem Youssef aurait été concédé par le Premier ministre au président de la République. « Le message est clair : celui de sanctionner M. Youssef et de faire son procès en Conseil des ministres avant d’attendre le verdict de la justice – qui s’est déjà saisie du dossier », affirme Ghazi Youssef. Il rappelle que l’ancien PDG d’Ogero, qui compte deux autres membres, présentait, depuis la fin officielle du mandat du comité qu’il préside, une demande formelle à chaque nouveau ministre des Télécoms de procéder aux nominations nécessaires, y compris à la présidence d’Ogero. Aucun ministre n’y a fait suite, « dont Gebran Bassil », ajoute Ghazi Youssef, qui s’étonne surtout du fait que la nomination d’un nouveau PDG d’Ogero ne se soit pas accompagnée de la nomination de deux nouveaux membres de cette instance. Il ne s’agit pas tant de réformer le secteur que de « sanctionner une personne ».
Qui plus est, la nomination du successeur de M. Youssef à la direction de l’exploitation et de la maintenance au sein du ministère s’est faite au détriment des mécanismes de bonne gouvernance, précisément du mécanisme récemment mis en place par Omsar pour améliorer la nomination des nouveaux fonctionnaires (sélection et entretien préalable, ce qui avait été perçu comme une avancée qualitative). Le successeur de M. Youssef aurait été sélectionné, hors cadre, « en moins de 24 heures ». De l’aveu du ministre de l’Information, si ce mécanisme n’a pas été observé, il le sera les fois prochaines…
Cette démarche aurait en tout cas provoqué plusieurs contestations au sein du Conseil des ministres, sans que celles-ci ne s’expriment encore ouvertement.